L’année dernière, Carlotta Films nous avait déjà gratifiés d’un superbe coffret Mizoguchi dans lequel on retrouvait quelques-uns des chefs-d’œuvre du maître réalisés dans les années 1940. Parmi eux figurait le génial Les Femmes de la nuit (Yoru no onnatachi, 1948) dont le style était directement inspiré par le néoréalisme italien de Roberto Rossellini. Personnage incontournable du cinéma japonais, Mizoguchi Kenji ne pouvait pas faire l’objet que d’un seul coffret, voilà pourquoi l’éditeur revient avec une nouvelle fournée de films signés par le réalisateur sous forme d’un DVD simple Les Sœurs de Gion (Gion no shimai, 1936) et d’un coffret contenant trois films : La Cigogne de papier (Orizuru Osen, 1935), Oyuki la vierge (Maria no Oyuki, 1935) et Les Coquelicots (Gubijinsô, 1935).
Ces œuvres sont moins connus que celles des années 1950 qui valurent à Mizoguchi d’être considéré comme un dieu par la critique française, mais on y trouve déjà la patte du cinéaste et son thème de prédilection : les femmes qui doivent subir le joug des hommes. Si dans La Cigogne de papier, son dernier film muet, Osen, la belle prostituée, est contrainte de participer à des activités douteuses menées par une bande de voyous sans qu’elle puisse manifester son refus, l’héroïne des Sœurs de Gion, Omocha, incarnée avec force par Yamada Isuzu, est une révoltée contre cet ordre établi qui veut que les femmes soient les jouets des hommes. La jeune geisha dont le nom veut dire “jouet” en français a fait des études et elle ne veut plus subir l’univers masculin au contraire de sa sœur, elle aussi geisha, qui a une vision très traditionnelle, estimant que la femme est au service de l’homme.
La révolte d’Omocha lui vaut d’être maltraitée et d’être blessée, mais elle ne renonce pas. Ce message adressé à la société japonaise sera peu entendu car le film produit par l’éphémère société Daiichi Eiga de Nagata Masaichi, qui ne disposait pas d’un réseau de salles, n’a pas bénéficié d’une grande diffusion. Mizoguchi reprendra ce message dans Les Femmes de la nuit douze ans plus tard dans un Japon éprouvé par la guerre. Les autres films présentés dans le coffret sont aussi intéressants même si la qualité de la copie, malgré les efforts entrepris pour l’améliorer, reste médiocre. Dans Les Coquelicots, Mizoguchi montre le conflit entre une vision moderne des rapports amoureux et une vision plus traditionnelle lorsqu’un professeur à la retraite cherche à marier sa fille à un de ses amis qui lui préfère une jeune fille de Tokyo.
Tous ces films permettent de comprendre l’immense talent de Mizoguchi et sa maîtrise de la mise en scène comme en témoigne notamment la longue séquence d’introduction dans Les Sœurs de Gion. Comme à son habitude, Carlotta Films propose de nombreux bonus dans ses DVD. De quoi passer quelques bons moments avant la sortie annoncée d’autres chefs-d’œuvre nippons. On en rêvait, Carlotta l’a fait.
Claude Leblanc
Kenji Mizoguchi, les années 1930, 2 DVD, Carlotta Films, 40€
Les Sœurs de Gion de Kenji Mizoguchi, 1 DVD, Carlotta Films, 20€
Notre ami Max Tessier a repris sa plume pour mettre à jour son ouvrage sur le cinéma japonais qu’il connaît si bien. Un vade-mecum obligé pour quiconque s’intéresse au 7ème Art nippon sous toutes ses coutures. Une excellente référence à posséder dans sa bibliothèque.
Max Tessier, Le Cinéma japonais, 2e édition, éd. Armand Colin, 9€.