«Ne traîne pas les pieds quand tu marches! Ça fait mauvais genre!», me faisait-on souvent remarquer lorsque, petit, j’avais tendance à jouer du frotte-bitume avec mes semelles. Résultat, sans être forcément élégante, ma démarche a au moins le mérite de préserver l’état de mes chaussures pendant plusieurs années après leur achat. Depuis mon arrivée dans l’Archipel, j’ai eu de nombreuses occasions de constater qu’ici ce n’était pas si évident. Il n’y a qu’à se joindre aux piétons et tendre l’oreille. Certains ont le pas si peu enlevé qu’ils donnent l’impression de vouloir labourer la chaussée. D’autres, dans un style pur baba-cool, omettent volontairement de rentrer leurs talons dans leurs chaussures, faisant mollement claquer celles-ci sur le sol à la manière d’une paire de tongues ou de sandales un peu trop grandes : peta peta. Faut-il y voir l’expression de la paresse de faire, défaire et refaire ses lacets en permanence ? Car à la décharge de ces apathiques du ripaton, il est vrai que l’on passe son temps à se déchausser au Japon. De la même façon qu’on se déshabille pour prendre son bain, on se déchausse quand on rentre chez soi. L’entrée constitue une sorte de sas, un passage obligé entre l’extérieur et l’intérieur qui d’une certaine façon marque un changement psychologique et permet d’adopter un comportement plus décontracté une fois franchi. Débarrassé de ses chaussures à l’intérieur, on peut alors se vautrer à sa guise sur la moquette ou les tatamis. Pierre Ferragut