UNE VIE DE CHIEN – EPISODE 2
Je suis un chien, et je vais bientôt avoir un nom… “Elle” a pris rendez-vous avec un spécialiste de cosmologie chinoise pour les chiens. Maintenant que je “fais partie de la famille”, je jouis de toutes les préro-gatives des humains. Et la première chose à faire, c’est de me trouver un nom convenable pour intégrer “ma famille”. Il ne faut pas prendre ces choses-là à la légère. Après avoir compté le nombre de traits composant le patronyme de ma “maîtresse”, le spécialiste détermine les noms qui me conviendront à moi afin que notre entente soit harmonieuse. J’ai hâte d’avoir le résultat. Une fois que j’aurai un nom, “elle” va me faire faire des cartes de visite. N’oubliez pas que nous sommes au Japon, et que, même pour nous les chiens, ces cartes sont très importantes pour mes débuts en société. Lorsque je croise d’autres chiens lors de mes promenades quotidiennes au parc, ou que nous allons “elle” et moi dans un restaurant où les chiens sont non seulement admis, mais où le chef nous a concocté un “menu santé”, il faut que l’on se souvienne de moi. Nos maîtresses s’échangent nos cartes. Sur une face de la carte de visite, il y aura ma photo, en couleur s’il vous plaît, mon nom ma race et mon pedigree, son nom à “elle”, quand même, ainsi que notre adresse et numéro de téléphone. Au dos de la carte sont inscrites mes préférences. Tout le monde saura ainsi que j’aime les promenades au parc, mais que je déteste qu’on me nettoie les oreilles. Il ne me manque plus que ma page perso sur Facebook…
Mais avant d’aller m’exhiber dans les parcs de la capitale et distribuer mes cartes de visite, “elle” tient à ce que je reçoive une bonne éducation. Un chiot comme moi, c’est plein de vie, ça court après les pigeons, ça aboie lorsqu’on sonne à la porte, ça interrompt la conversation lorsqu’“elle” reçoit de la visite, et surtout, je dois bien l’avouer, lorsqu’“elle” n’est pas dans l’appar-tement, j’ai tendance à oublier où se trouve mon coin toilettes et lorsque je m’ennuie, je mâchonne les coussins pour tuer le temps (essayez, vous verrez, c’est très bon contre le stress…). “Elle” m’a donc inscrit dans une “école maternelle” pour chiens, il y en a de plus en plus dans tout le pays, afin que je suive des cours intensifs de vie en société. En 24 leçons à 10 000 yens la journée, je vais tout apprendre sur les humains et la façon dont ils souhaitent que je me comporte avec eux. Le premier jour, je suis un peu nerveux; c’est la première fois que je passe une journée sans «elle». Une voiture vient me chercher à domicile, pour m’emmener à l’école. Dans mon cartable, “elle” a placé mon jouet préféré (une banane en peluche), mon bentô, ma laisse et le nécessaire à promenade, ainsi que le carnet de liaison qui sert à noter mon comportement et mes progrès, c’est un peu mon carnet de notes. La journée commence à 10 heures par l’accueil de tous les élèves chiots. A 11 heures: examen complet de mon état physique. Ma maîtresse d’école s’assure que je suis en pleine forme. A midi, séance de jeux. Les grands chiens sont réunis dans une même pièce, et nous, les petits chiens, dans une autre. On apprend à ne pas avoir peur les uns des autres, à ne pas s’aboyer dessus à tort et à travers. On joue à la balle, j’aime bien. A 13 heures, cours de maintien. C’est là que j’apprends à m’asseoir, à me rouler sur le dos, à attendre, à répondre quand on m’appelle. Je dois obéir, littéralement, au doigt et à l’œil de ma maîtresse. A 14 heures, je suis introduit dans une pièce remplie de monstres. Celui qui me fait le plus peur, c’est un espèce de diplodocus avec un grand cou et une tête plate, qui fait un bruit assourdissant quand on appuie sur le bouton. La première fois que je l’ai vu se précipiter vers moi, tête baissée, j’ai cherché à le mordre au cou, mais il continuait de brailler. La maîtresse m’a dit qu’il s’agissait d’un “aspirateur”, ou quelque chose comme ça… Comme il était plus fort que moi, j’ai été me cacher sous un fauteuil en aboyant. Il paraît que je vais devoir m’habituer à tous ces monstres qui cohabitent dans les appartements des humains, et que je n’ai pas le droit de me défendre. Je me demande ce que fait la SPA…
A 15 heures, c’est la promenade. Il faut que j’apprenne à ne pas avoir peur des enfants qui s’approchent de moi pour me câliner, ou pour me tirer les oreilles… Je dois également régler mon pas sur celui de ma maîtresse et ne pas tirer sur ma laisse, même si je suis pressé d’arriver au lampadaire. J’apprends à traverser la rue, à ne pas courir après les voitures arrêtées, et à ne pas sursauter à chaque coup de klaxon. A 16 heures, retour à l’école pour la toilette. On me bichonne, on me brosse le poil, et on me nettoie les oreilles… C’était pourtant marqué sur mes cartes de visite que je n’aimais pas ça… A 17 heures, c’est la fin des cours et “elle” est venue me chercher. Ma maîtresse d’école a l’air contente de moi, je suis un bon élève, bien que parfois un peu dissipé. Je me demande si, à quatre mois, elle savait “donner la papatte”, “elle”…
Etienne Barral
Illustration : Pierre Ferragut