Lorsqu’on termine un livre et que l’on en parle autour de soi, on hésite parfois à donner son avis, ne sachant pas en définitive si ce que l’on vient de lire mérite d’être recommandé. Quand on referme un livre écrit par Murakami Haruki, on hésite rarement et la plupart du temps on invite ses proches à plonger dans l’univers de cet écrivain qui à chaque nouvelle parution ne cesse de nous étonner. C’est une nouvelle fois le cas avec le recueil de nouvelles intitulé Saules aveugles, femme endormie (Mekurayanagi to nemuru onna) que les éditions Belfond nous proposent en cet automne 2008. Avec la même maestria qu’il étale dans ses romans, Murakami dresse un portrait du Japon contemporain au travers de 23 tranches de vie. A la lecture de chacune d’entre elles, on se projette au côté des personnages dont il raconte le quotidien parfois banal, parfois extraordinaire. Mais dans un cas comme dans l’autre, le lecteur ne peut s’empêcher de se transporter dans les univers qu’il décrit. C’est là que réside la force de cet écrivain hors norme dont le nom a souvent été évoqué pour le prix Nobel de littérature. Ce serait justice de lui décerner tant son talent est grand. Le secret de Murakami, c’est de transformer une situation ordinaire en un moment de poésie. Il y a dans son écriture la volonté de rendre l’émotion de l’instant comme a pu le faire le poète Bashô. Dans La Tragédie de la mine de New York, une des 23 nouvelles de ce recueil traduit avec brio par Hélène Morita, on retrouve ainsi l’esprit du haïku dans la phrase suivante : “Dans la mort d’un jeune homme de vingt-huit ans, il y a un je ne sais quoi de morne, comme la pluie en hiver”. La poésie est bel et bien présente. L’écrivain nous envoûte avec ses mots simples et ses personnages qui peuvent à la fois parler tout seul, avoir un penchant pour les visites de zoo ou bien vivre reclus dans un appartement. A chaque nouvelle rencontre, le lecteur se demande dans quelle dimension l’écrivain va le conduire. Et à chaque fois, c’est une surprise. Avec Murakami, on n’a pas affaire à un écrivain plan-plan. Pas question de s’endormir et de se laisser bercer par une prose régulière. Le romancier nous a déjà prouvé par le passé qu’il avait les moyens de nous surprendre avec un seul livre. Avec Saules aveugles, femme endormie, il nous surprend vingt-trois fois. Certains pourraient faire la fine bouche et dire que toutes les nouvelles ne se valent pas. Ils auraient tort. On peut évidemment être moins sensible à tel ou tel sujet, mais on doit reconnaître que chaque histoire est étonnante malgré son caractère banal. Murakami est donc un formidable alchimiste qui a trouvé la formule pour transformer l’ordinaire en extraordinaire, en y ajoutant une pointe de poésie
Claude Leblanc
Saules aveugles, femme endormie de Murakami Haruki, trad. par Hélène Morita, Belfond, 21,50€.