Afin de permettre à nos lecteurs de mieux appréhender le Japon du dedans, il nous a semblé intéressant de présenter le travail de longue haleine effectué par Muriel Jolivet intitulé “Journal du Dehors – Made in Japan”. En fait, c’est le “Journal du Dehors” d’Annie Ernaux qui a donné envie à M. Jolivet de raconter des faits divers observés au quotidien à Tokyo. Pour ce journal collectif, l’auteur a mis à contribution ses étudiant(e)s de 4ème année en leur demandant de lui ramener des “instantanés”, glanés dans les métros, les gares et les magasins. “Tout ce qui est noté a été vu, même si l’interprétation qui en est faite est forcément teintée de subjectivité… ces instantanés font partie de l’histoire d’une ville, d’une personne, d’une époque, d’un moment…” En dépit du concept nouveau de “seku hara(1)” dont on nous rabat les oreilles, au point de nous sensibiliser à un nouveau type de “victimes”, qui se feraient coffrer sur simple déclaration d’une harpie parano, les mentalités ont dans l’ensemble peu évolué. Les médias se sont emparées du sujet, conseillant aux hommes de s’accrocher à n’importe quoi pour avoir les bras en l’air et être à l’abri de tout soupçon. Il fallait y penser. Ils ont oublié le sacro saint cartable : objet fétiche du “salaryman” Pas facile d’avoir les bras en l’air avec un cartable qui contient parfois un “note book” ou un “lap top(2) ”. Toujours est-il que je suis tombée sur un de ces “live show” du matin qui remplit comme il peut sa plage horaire avec la voix des auditeurs. Vox populi, vox Dei, en quelque sorte. La carte postale vient d’une lycéenne qui écume. Elle évoque la visite médicale où un médecin n’a rien trouvé de mieux que de prendre ses seins à pleines mains en disant “Les lycéennes parlent de plus en plus mal, mais il faut reconnaître que leurs seins sont de plus en plus rebondis !” Le “live show” n’en demandait pas tant. On discute du culot de ce pépé qui ne se contente pas de se rincer l’œil, mais qui vérifie “de tactu”. Tout le monde est écroulé. On en fait des gorges chaudes. Pas un mot sur la blessure de la jeune fille qui doit se sentir victime d’un “second rape” (3) . Il a un culot qu’on envie presque. Sacré pépé! Cette atteinte à la pudeur n’a l’air de choquer que moi… Muriel Jolivet (Tokyo, juillet 2000) |
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La valse des canettes “Le sens civique se perd”, grogne la femme de ménage qui me prend à parti pour constater que le campus autrefois impeccable à toute heure du jour et de la nuit, se transforme désormais en une gigantesque poubelle passée l’heure du déjeuner. Les trois poubelles qui sont proposées aux étudiants ne prêtent pourtant pas à confusion entre les ordures biodégradables, non biodégradables et les bouteilles ou canettes. La pauvre femme en est réduite à faire le guet à l’entrée des amphis pour interdire aux étudiants d’entrer une boisson à la main. “Je préfère encore ça plutôt que de ramasser trois cents canettes entre chaque cours magistral….” Ce laxisme ambiant se retrouve ailleurs au grand dam des pépés mémés qui continuent à balayer leur quartier. C’est ainsi qu’il n’est pas rare que je retrouve le panier de mon vélo rempli de canettes quand je rentre le soir. Mal m’en a pris de les vider dans la poubelle du premier distributeur. Sortant comme un diable d’une boîte, le marchand m’a hurlé que c’était sa poubelle et qu’il fallait avoir consommé les canettes de son distributeur pour avoir le droit d’y déposer une canette. J’ai eu beau essayer d’arguer qu’elles venaient certainement de son distributeur puisque mon vélo était garé sous la passerelle, deux mètres plus loin. Le ton a commencé à monter. “hakkirishiro” (Dis ce que tu veux), me hurlait-il, comme si je venais de voler à l’étalage. Depuis que j’ai appris que les poubelles étaient “propriété privée”, je fais désormais comme tout le monde… je vide les canettes dans le panier du voisin… Muriel Jolivet (Décembre 2000) |
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Brusquement les bus écolos (le vert ayant été choisi pour l’impression de verdure que cela donnait au paysage), se sont vus maquillés en bus Häagen-Dazs, Kool Mint Gum, etc. Il y a des bus Kitty-chan rose bonbon, des bus “kiss me” (sic) ou qui vous mettent l’eau à la bouche avec des plaques de Cadbury, ou même des bus Perrier agrémentés de la photo d’Einstein qui tire une langue gourmande pour ne pas perdre une goutte du nectar. Les bus “intellos” sont dotés d’un site web, tandis que les bus Nescafé sont agrémentés du sourire de Maria Carey que j’aurais plutôt choisie pour vanter un dentifrice… Certains trouvent ça “nigiyaka” (gai), d’autres un peu trop “hakkiri” (voyant) ; toujours est-il qu’on s’ennuie moins en regardant passer les bus qu’en regardant passer les trains. Surprenant ma rêverie, ma fille commente : “Il ne manque plus que des bus pampers ou tampax !” Muriel Jolivet (Décembre 2000) |
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