En été, c’est sûr, vous voudrez avoir le cafard
L’été au Japon… Le soleil de plomb qui fait fondre le macadam des trottoirs brûlants et terrasse l’imprudent s’aventurant à l’extérieur. L’air lourd, chargé d’humidité poisseuse, insupportable si l’on commet l’erreur de sortir avec un vêtement en polyester; lin et coton de rigueur. La petite serviette constamment à la main pour éponger la sueur, l’éventail de l’autre pour créer un souffle d’air artificiel, maigre consolation pour ceux qui n’ont pas pris la précaution de faire l’acquisition d’un ventilateur. Pendue au balcon, une fûrin (clochette qui tinte au vent), rassure les esprits: ses tremblotements sporadiques offrent la preuve que l’air continue de vibrer. Pas une bourrasque, oh non, à peine un souffle, mais il est psychologiquement réconfortant de guetter le son de cette clochette qui nous prévient que d’ici quelques secondes, un petit peu d’air viendra nous rafraîchir. Vous rêvez de croquer à pleine bouche dans du kakigôri (de la glace pilée aromatisée avec un sirop sucré et coloré), ou d’une tranche de pastèque saupoudrée de sel, pour vous rafraîchir le palais. Affalé sur les tatamis, en yukata de coton, une tasse de thé yokucha bien frais à proximité, il est difficile de se concentrer sur son livre car les cigales s’interpellent d’arbre en arbre, se frottant les élytres avec entrain, commères infatigables récitant le bottin des insectes du matin au soir. C’est l’été, vivement l’automne…
C’est au moment où l’on ouvre la porte du frigo, pour se réapprovisionner en thé vert, que l’on fait sa connaissance. Surpris dans sa cachette sombre et humide par la lumière du frigo, “Il” lève ses antennes pour évaluer la situation… Vous êtes nez à nez avec votre “premier gokiburi de l’été”. L’hirondelle annonce le printemps, le gokiburi confirme l’arrivée des chaleurs estivales. Le go…qui? Le “GOKIBURI”. C’est la version nippone de notre bonne vieille blatte, dont la seule évocation fournit un sujet de conversation inépuisable aux gaijin (étrangers) venus passer leur premier été au Japon. Un coup à vous refiler le cafard…
Il faut dire que, du long de leur quatre ou cinq centimètres de carapace luisante, les gokiburi de l’archipel sont plus impressionnants que nos gentilles petites blattes franchouillardes. Face à face avec l’animal, vous restez perplexe. Quelle stratégie adopter? S’il parvient à vous échapper, attendez-vous à devoir cohabiter avec sa descendance, soit environ 240 individus tous aussi noirs et menaçants par génération. Il convient donc, malgré la chaleur qui engourdit vos neurones, de faire preuve d’initiative et de sens pratique. Lui, pour l’instant, ne bouge pas, il n’a pas encore totalement évalué le danger. L’exterminateur novice va être tenté de se précipiter sur son slipper (sandale d’intérieur) afin d’asséner un grand coup sur le dos de l’insecte. En théorie, ça peut marcher… En pratique… c’est souvent raté. Le gokiburi semble doué d’un x-ième sens pour voir venir les semelles de slipper. Comme si des générations de cafards s’étaient donné le mot pour apprendre à éviter un de leurs plus grands ennemis sur cette Terre. Alors que le claquement de votre arme pointure 44 résonne encore sur le sol en lino de votre cuisine, votre ennemi s’est déjà mis hors de portée, échappant de justesse au châtiment tombé du ciel. Bien lui en a pris d’être tout plat… Heureusement pour vous, le cafard dans sa fuite improvisée s’est heurté à la paroi de la poubelle. Il rase désormais le mur et n’en mène plus large. Vous allez peut-être bénéficier d’une deuxième chance. Abandonnez votre sandale, qui n’a pas donné satisfaction. Optez plutôt pour le journal plié en 4, qui offre une plus grande surface de contact, mais attention, la bestiole est vive, et court très vite sur ses petites pattes. Si elle perçoit le souffle du déplacement de votre projectile, elle se jouera encore une fois de vous. Malin (pensez-vous…), vous tentez de lui barrer la route menant à la salle de bain, où elle irait rejoindre ses congénères, bien à l’abri sous la baignoire. Mais l’animal a de la ressource, et vous fait découvrir des recoins insoupçonnés de votre appartement. Vous n’aviez ainsi jamais imaginé qu’une seule poussière puisse se glisser sous votre meuble de cuisine? Et bien un gros cafard bien luisant de 4 centimètres de long s’échappe sous votre nez par la faille infime entre l’évier et la plaque chauffante, qui ne figurait pourtant pas sur les plans que l’agent immobilier vous a remis lorsque vous avez emménagé. Caramba, encore raté… En sueur, rageant de constater qu’un cafard avait ce jour-là un QI supérieur au vôtre, votre après-midi estivale gâchée par la bestiole, il ne vous reste plus qu’à faire l’acquisition, au drugstore du coin, de l’arme fatale anti-cafard, le Gokiburi hoi-hoi (marque déposée). Ce piège est en forme de maison plate en carton plié, façon origami machiavélique. Le sol est en effet recouvert de colle extra-forte, et comporte en son milieu une pastille odorante dont l’effluve affriolant fera bientôt sortir la famille cafard de sa cachette. Il ne vous restera plus, d’ici quelques jours, qu’à venir relever vos pièges. Il est alors fort probable que vous y retrouviez votre effronté ennemi d’un jour, les pattes engluées, victime de sa gourmandise. Vous pouvez alors retourner à votre sieste sur les tatamis, jusqu’à l’été prochain…
Etienne Barral
Illustration : Pierre Ferragut