Depuis quelques années, les bandes dessinées sont devenues une source d’inspiration pour les cinéastes. Un bon moyen d’assurer des recettes à un moment où il y a moins de lecteurs.
Au cours des dix dernières années, le secteur du manga a beaucoup évolué. Certains spécialistes évoquent même l’idée d’une crise liée à une transformation des modes de vie. Il y a 20 ans, lorsque vous empruntiez les transports en commun dans l’Archipel, la plupart des voyageurs lisaient. Beaucoup d’entre eux dévoraient des magazines de manga, curieux de connaître la suite des aventures de leurs héros préférés. Désormais, les Japonais ne lisent presque plus dans les rames de train ou de métro. Ils préfèrent pianoter sur leur téléphone portable grâce auquel ils peuvent regarder la télévision, surfer sur Internet ou encore lire des manga. La distribution de manga en ligne est encore balbutiante, mais elle enregistre une très forte croissance depuis deux ans. Plus 150 % pour certains sites de distribution comme Comic Plus, propriété du géant de l’édition Kôdansha. Mais en attendant que les ventes en ligne puissent compenser les pertes liées à la chute des ventes des magazines, les éditeurs doivent imaginer des solutions susceptibles de leur éviter de perdre encore plus d’argent.
De toutes celles envisagées, les maisons d’édition favorisent les adaptations audiovisuelles (dessins animés, téléfilms ou films) des œuvres qu’elles publient. Une tendance de plus en plus marquée si l’on en croit les chiffres. En 2009, on en a recensé environ 150, soit 30 de plus que l’année précédente. “Les jeunes Japonais lisent de moins en moins de romans au profit des manga. Ces mêmes jeunes constituent le gros de la clientèle des cinémas. Il est donc normal que l’on se tourne vers les manga comme source de scénario si l’on veut toucher le plus grand nombre”, concède Kore-eda Hirokazu. Le réalisateur de Nobody knows et Still Walking s’est lui-même lancé dans l’adaptation de manga avec Kûki Ningyô (Air doll) de Gôda Yoshiie. De son côté, Miki Takahiro, metteur en scène de l’adaptation cinéma-tographique de Solanin [éd. Kana], manga d’Asano Inio, note que “la principale motivation qui se cache derrière la plupart des adaptations récentes de manga au cinéma est l’argent”. En effet, les éditeurs peuvent s’y retrouver de plusieurs façons. Les chaînes de télévision ou les studios leur versent des droits qui peuvent, selon les titres, représenter de coquettes sommes. S’ils participent, comme c’est souvent le cas, à la production de l’adaptation audio-visuelle, ils pourront aussi compter sur un pourcentage des recettes. Enfin, ils encouragent les producteurs de télévision et de cinéma à s’intéresser à leurs produits, car ils savent que c’est un excellent moyen de dynamiser les ventes de leurs ouvrages.
20th Century Boys d’Urasawa Naoki a fait l’objet d’une adaptation cinématographique en trois parties. Le troisième volet sort en DVD en France chez Kaze Vidéo. L’occasion de connaître le dénouement de l’histoire pour ceux qui n’ont pas lu le manga.
Une grande partie des adaptations sont des dessins animés pour la télévision ou le cinéma, mais récemment les manga sont devenus des sources d’inspiration pour les téléfilms et les longs métrages. Parmi ceux qui ont retenu l’attention, on peut citer Jin [éd. Tonkam] de Murakami Motoka. Ce manga, qui raconte l’histoire d’un chirurgien qui se retrouve projeté au XIXe siècle, est devenu une série diffusée sur la chaîne TBS à l’automne 2009. Elle a très bien été reçue par le public, assurant à la chaîne des audiences très fortes. On peut aussi citer le cas de 20th Century Boys d’Urasawa Naoki [éd. Panini Manga] dont le film en trois parties [distribué en France par Kaze] a été un grand succès populaire, lui permettant de figurer parmi les meilleures entrées au box-office. Dans les deux cas, les adaptations ont permis aux éditeurs de vendre davantage de manga des séries concernées. En ce qui concerne Jin, l’éditeur Shûeisha ne cache pas sa satisfaction devant la réussite du feuilleton télévisé. Avant sa diffusion, les 16 volumes édités de la série s’étaient vendus à plus de 2,5 millions d’exemplaires. Fin avril 2010, le chiffre a dépassé la barre des 4 millions d’exemplaires.
On comprend pourquoi les maisons d’édition se montrent très réceptives aux offres des producteurs de télévision et de cinéma. Ces derniers cherchent aussi des recettes faciles. En adaptant des manga populaires, ils savent qu’ils auront de grandes chances de séduire un public de fans prêts à dépenser les 1800 yens [16,2 euros] d’une place de cinéma pour voir comment leurs héros passent sur grand écran ou à passer une soirée devant la télé et ses nombreuses pages de pub pour découvrir le scénario de leur manga préféré. En définitive, c’est un cercle vertueux qui a été mis en place. Il sert avant tout les intérêts des éditeurs et des producteurs. Les auteurs ne sont pas les mieux lotis dans ces opérations.
Mais ce n’est pas toujours facile d’adapter un manga et le succès n’est pas toujours au rendez-vous. Kore-eda Hirokazu, que l’on considère comme l’un des meilleurs cinéastes japonais, en sait quelque chose. “Si cela avait été un manga qui s’était vendu à un million d’exemplaires, cela aurait été sans doute plus facile pour moi de trouver les financements pour le projet Air doll”, reconnaît-il. Malgré les difficultés, il a réussi à mener à son terme son film, mais celui-ci n’a pas connu la même réussite que 20th Century Boys. “Les manga japonais sont de grandes qualités, mais cela ne garantit pas que leur adaptation soit à la même hauteur”, poursuit Kore-eda Hirokazu qui a pourtant réalisé une magnifique adaptation de l’œuvre de Gôda Yoshiie. C’est là que le bât blesse. Une très grande partie des adaptations au cinéma et à la télévision est de piètre qualité, se contentant souvent de reproduire le contenu de ces bandes dessinées sans chercher à en tirer la substantifique moelle.
Odaira Namihei