Le 3 juin, si vous décidez de vous rendre au cinéma, vous aurez le choix entre une comédie venue du nord de l’Europe, Mariage à l’islandaise de Valdis Oskarsdottir et Departures (Okuribito), long métrage de Takita Yôjirô, Oscar du meilleur film étranger 2009. A leur façon, ces deux films proposent un regard sur leur société respective. L’un s’intéresse à un des moments les plus intenses de la vie, le mariage, tandis que l’autre traite du rapport à la mort. Dans le premier, la réalisatrice a voulu évoquer sur un ton humoristique cette mode des habitants de Reykjavík, la capitale de l’Islande, pour les mariages campagnards qui peuvent parfois tourner au cauchemar. Takita Yôjirô a, quant à lui, voulu aborder un autre type de tradition qui concerne la préparation à l’ultime voyage. Même si le sujet est grave en soi, le cinéaste entouré de deux merveilleux acteurs Yamazaki Tsutomu et Motoki Masahiro, l’aborde avec une extrême sensibilité et une pointe d’humour qui donne à ce film une très grande force.
Dans notre monde où la violence est omniprésente, où les images de mort envahissent les magazines et les journaux télévisés, nous nous sommes habitués à la mort. Le regard que nous y portons est souvent distant même si la peine nous envahit lorsqu’elle frappe des êtres chers. Avec Departures, la mort retrouve, si l’on peut dire, sa dimension humaine. Le destin de Kobayashi Daigo, interprété merveilleusement par un Motoki Masahiro au sommet de son art, permet justement cette transition. Violoncelliste au chômage, il décide de retourner dans la région de son enfance Yamagata. Cette région rurale n’a a priori rien à offrir à un musicien si ce n’est, un jour, une offre d’emploi dans une entreprise qu’il imagine être une agence de voyages. Mais bien sûr, il s’agit d’autre chose. Ce qu’on lui propose, c’est d’accompagner les morts, du moins de les préparer pour leur dernier voyage. Avec l’aide et le soutien du patron de cette entreprise de pompes funèbres incarné avec brio par Yamazaki Tsutomu, il va découvrir un autre monde qui reste très largement tabou dans la société japonaise. La puissance de ce film réside justement dans sa capacité à transcender le sentiment de dégoût que l’on peut avoir vis-à-vis des morts. En suivant Daigo dans son apprentissage, en observant ses réactions devant les premiers cadavres auxquels il a affaire, le spectateur évolue lui-même et change d’attitude. La mort n’est pas belle et le film montre à certains moments qu’on peut s’éteindre dans le plus grand dénuement et la plus profonde solitude. Mais il montre aussi qu’il est possible de l’embellir. Cela ne signifie pas qu’on la dissimule, mais au contraire qu’on en comprend tout le sens. Le destin de Daigo le conduira à préparer le corps de son père avec lequel il n’entretenait plus de rapports depuis très longtemps. Certains trouveront peut-être que ce développement est en trop, mais, du point de vue du réalisateur, cela permet de boucler la boucle. Dans nos sociétés déshumanisées, la mort serait donc le dernier moyen de rapprocher les êtres. C’est d’autant plus intéressant que l’un des grands succès de librairie au Japon actuellement est le roman de Dendô Arata, Itamuhito (Celui qui pleure les morts, éd. Bungei Shunjû, non traduit en français), récompensé par le prix Naoki. Ce livre raconte l’histoire d’un homme dont la compassion le pousse à se rendre auprès de ceux et de celles qui ont perdu des êtres chers. Dans un pays où le vieillissement de la population est une des principales préoccupations et où la mort rôde plus qu’ailleurs dans le monde, on comprend à quel point cette thématique a son importance.
Mais elle est loin d’être spécifique au Japon. C’est pourquoi, Departures a su séduire les professionnels du cinéma qui lui ont décerné de nombreuses récompenses au Japon et à l’étranger. Nul doute que le film de Takita Yôjirô vous charmera aussi. Son impact a été tellement fort dans l’Archipel que les entreprises de pompes funèbres ont reçu des centaines de candidatures spontanées et que des démonstrations publiques ont été organisées dans tout le pays. Et s’il faut vous donner une autre excellente raison d’aller voir ce long métrage, citons la musique du génial Hisaishi Jô, compositeur fétiche de Miyazaki Hayao. Sa musique n’accompagne pas le film, elle en est un des éléments essentiels. Son rôle est tout aussi important que le jeu des acteurs. On sort de la projection avec une autre vision du monde qui nous entoure. Heureux d’être là et désireux de se montrer à l’avenir un peu plus humain. Departures n’est pas un film moraliste. Il ne se présente pas comme cela, mais il porte en lui une dose d’humanité extraordinaire. Merci à Takita Yôjirô d’avoir su éviter de faire un film larmoyant et farci de bons sentiments. Avec simplicité, il nous a montré que l’homme était capable de surmonter ses peurs et ses idées reçues pour se projeter vers l’avenir même si cela se passe dans l’univers de la mort.
Claude Leblanc
Photo : Motoki Masahiro et Yamazaki Tsutomu dans Departures (Okuribito) de Takita Yôjirô