Lors de sa sortie en 2003, Lost in translation, le film de Sofia Coppola, dans lequel deux Américains paumés, Bill Murray et Scarlett Johansson, cherchaient à se ressourcer à Tokyo sans pour autant y parvenir, avait suscité l’intérêt du public en raison notamment du regard que la réalisatrice avait porté sur la capitale japonaise. Elle avait surtout mis l’accent sur la ville électrique et la jeunesse désireuse de profiter des nombreuses activités nocturnes à sa disposition. Malgré son gigantisme incarné par les immeubles, Tokyo conservait dans ce film une dimension humaine pour le moins inattendue.
Cinq ans plus tard, la mégalopole japonaise est de nouveau au centre d’un film présenté cette année à Cannes dans la sélection Un Certain regard. Réalisé à l’initiative de deux producteurs japonais installés en France, Yoshitake Michiko et Sawada Masa, Tokyo ! est un film atypique par sa forme et par son sujet même si le film à sketchs revient à la mode et si les villes deviennent des thèmes cinématographiques à part entière (cf. Paris je t’aime sélectionné à Cannes en 2007). En confiant aux Français Leos Carax et Michel Gondry ainsi qu’au Coréen Bong Joon-ho le soin de réaliser individuellement et sans concertation commune un court métrage sur leur perception de Tokyo, les producteurs ont pris le risque d’aboutir à une œuvre sans queue ni tête et faite de bric et de broc.
C’était sans compter sur le talent des trois cinéastes qui ont en définitive réussi à donner une cohérence au projet dans son ensemble. Chacun à leur manière, ils présentent une ville déshumanisée. Interior design, le film de Michel Gondry, dont on connaît la fertile imagination depuis Eternal Sunshine of the Spotless Mind, est en quelque sorte une réponse à Lost in translation. Il met en scène un jeune couple de Japonais qui s’installe à Tokyo. Le jeune homme veut devenir réalisateur tandis que sa fiancée a le sentiment de perdre le contrôle de sa vie. Tous les deux se noient dans cette ville sans repères, jusqu’à ce que la jeune femme, trop seule, devienne l’objet d’une étrange transformation. Avec Merde, Leos Carax explore le bizarre avec une mystérieuse créature sortie des égouts pour terroriser la population. Même si l’on perçoit dans la démarche de Gondry et Carax un attachement pour la ville, il manque ce supplément d’âme que Bong Joon-ho, le réalisateur de Memories of Murder et The Host, donne avec son personnage qui vit pourtant coupé du monde dans son appartement jusqu’au jour où il tombe amoureux. Dans ce dernier épisode intitulé Shaking Tokyo, la ville finit par disparaître au profit de l’être humain qui a la possibilité de transcender toutes les limites grâce aux sentiments. Encore faut-il qu’il le veuille.
Tokyo ! est une œuvre rare qu’il serait vraiment dommage de négliger.
Claude Leblanc
Tokyo !, un film de Michel Gondry, Leos Carax, et Bong Joon-ho. 1h45. Dist. Haut et Court. Sortie le 15 octobre.