Depuis maintenant une trentaine d’années, les supérettes ont bouleversé les centres urbains. Omniprésentes, elles concentrent une grande partie de la vie sociale.
- Les familiers du cinéma de Naruse Mikio auront remarqué que le réalisateur avait souvent présenté dans ses films les rues commerçantes des cités japonaises de l’après-guerre autour desquelles l’ensemble de la vie sociale s’organisait. Les fameuses shôtengai, ces rues où s’alignaient les échoppes familiales, composaient un élément essentiel de la société nippone. Dans Okâsan (La Mère, 1952), Naruse rapporte les difficultés de la famille Fukuhara qui rouvre sa teinturerie incendiée pendant la guerre et décrit en même temps la vie quotidienne de la rue commerçante dans laquelle elle est implantée. On s’aperçoit alors qu’elle est le poumon de la ville. C’est là que tout se passe. Les commerçants organisent les fêtes. C’est par leur intermédiaire que les informations circulaient, que le mariage d’untel ou untel était annoncé.
Souvent situées à proximité des gares, autre élément crucial du paysage social japonais, les shôtengai ont eu leur heure de gloire. Un personnage emblématique du cinéma japonais, Tora-san, a pérennisé l’importance de ce lieu au Japon au travers de son quartier de Shibamata à Tokyo. Il a permis aux Japonais de continuer à croire que leur environnement socio-économique n’évoluait guère et que le bon vieux temps des rues commerçantes n’était pas complètement révolu. Pourtant, au fil des années, ce qui faisait le charme et assurait l’animation de ces lieux a disparu. Les chindonya, ces artistes ambulants, qui venaient animer les fêtes lors de l’ouverture d’un nouveau magasin ou les attractions de kamishibai, théâtre de papier, autour desquelles les enfants se rassemblaient pour écouter des contes traditionnels ont peu à peu déserté les shôtengai comme les Japonais qui leur ont préféré d’autres endroits.
Parmi ces nouveaux lieux de vie privilégiés, le convenience store ou konbini pour les habitués. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le premier konbini ouvert au Japon l’a été à Osaka en 1969, l’année où le premier volet des aventures de Tora-san sortait sur les écrans de l’archipel. Cette première supérette baptisée My Store a ouvert la voie à de très nombreuses autres tout au long des années suivantes et dans l’ensemble du pays. Certes ce sont d’abord les grands centres urbains qui ont connu le développement des konbini comme à Sapporo, en 1971, ou à Tokyo, en 1974, avec l’ouverture du premier magasin de la chaîne Seven Eleven. Actuellement, on rencense plus de 43 668 konbini dans tout l’Archipel et leur présence a non seulement bouleversé le secteur de la distribution, mais aussi le mode de vie des Japonais. Rien que ça.
Situé lui aussi souvent non loin des gares, puisque, rappelons-le, la ville japonaise moderne a été bâtie autour du chemin de fer, le konbini a petit à petit capté la clientèle des boutiques traditionnelles pour devenir le point central de l’activité sociale des quartiers. La raison est simple. En plus d’être ouvertes 24h/24, ces supérettes assurent de très nombreux services pratiques. Il n’est donc pas rare de croiser à toute heure du jour et de la nuit, des hommes et des femmes qui viennent les uns chercher des agrafes les autres des magazines, les unes de quoi se restaurer les autres payer leur facture d’électricité. Le konbini est un supermarché en miniature et une centrale de services allant de l’envoi de colis postaux à la mise à disposition de distributeurs automatiques de billets de banque. Pour beaucoup, le convenience store constitue le point de départ de la journée et son point d’achèvement. Il s’y rendent, le matin, pour prendre leur petit déjeuner, et le soir, ils y viennent pour acheter ce qui constituera l’essentiel de leur dîner : un plat cuisiné. Il n’est pas rare, en toute fin de soirée, lorsque les derniers trains déversent les salariés parfois éméchés, de croiser ces hommes en quête d’un “truc” à acheter pour se faire pardonner de revenir si tard du boulot. Sans la présence des konbini, on est tenté de penser que leur retour au foyer serait plus éprouvant, car l’arrêt dans ces supérettes est une étape obligée. Déambuler dans les rayons toujours parfaitement achalandés, lire debout quelques minutes le dernier numéro de son magazine préféré, se demander devant les armoires réfrigérées ou devant les plaques chauffantes ce qu’on se mettrait bien dans le ventre et se dire, en arrivant à la caisse, qu’il faudra bientôt régler sa facture de téléphone, voilà tout ce qu’on peut faire dans ces konbini. Et si, pendant de nombreuses années, ces boutiques ont été fréquentées par des solitaires (hommes ou femmes), on s’aperçoit aujourd’hui qu’elles deviennent des lieux de rencontre. Il n’est pas rare de voir à l’entrée des konbini, des jeunes se rassembler en petits groupes pour partager leur casse-croûte. Ce moment que l’on nomme yûshoku (repas entre amis) constitue pour de nombreux collégiens, lycéens ou étudiants un bon moyen de discuter et de reconstituer des liens qui, avec l’avènement des téléphones portables, avaient de plus en plus tendance à se dérouler à distance.
Désormais, les konbini occupent le devant de la scène. Naruse n’est plus là pour le mettre en images, mais des cinéastes plus jeunes qui ont grandi avec le développement des konbini s’en chargent très bien. C’est le cas notamment de Fukui Takayuki avec son film Gin no enzeru (L’Ange d’argent, 2004) qui propose une belle histoire autour d’une supérette implantée au bord d’une nationale à Hokkaido et des rapports qui s’y nouent et s’y dénouent. Il ne fait plus de doute que les konbini ont pris la place des shôtengai dans le cœur des Japonais, même si certains cherchent aujourd’hui à leur rendre leur rôle d’antan.
Claude Leblanc
Un magasin de la chaîne Lawson la nuit
Le mensuel Konbini est une publication destinée aux professionnels. Elle est des plus utiles pour connaître les tendances dans les supérettes et découvrir les produits qui tiendront la vedette dans leurs rayons. En plus, on peut suivre sous forme de feuilleton un palpitant roman sur ce petit monde de la distribution.
AU PAYS DES KONBINI, DE JOUR COMME DE NUIT
évoque l’économie japonaise, on pense souvent aux succès d’entreprises
comme Sony, Toyota et Toshiba qui ont permis au Japon de se hisser
parmi l’élite industrielle mondiale. Il existe cependant d’autres
secteurs moins connus dans lesquels le pays du Soleil-levant a su
imprimer sa marque avant de les transformer en produits d’exportation.
Celui de la distribution et des convenience store, en particulier, est
de ce point de vue très instructif. La chaîne de supérettes 7-Eleven en
est sans doute le meilleur exemple.
Depuis son lancement sur le
marché japonais, en 1974, la chaîne de supérettes fondée aux Etats-Unis
a bouleversé la façon dont les Japonais consomment et mangent. Tout est
né d’un voyage effectué aux Etats-Unis par un jeune cadre de
l’entreprise de distribution Itô-Yôkadô qui avait pour mission
d’acquérir une franchise de restaurant américain. Mais comme David
Vincent dans Les Envahisseurs, il n’a pas trouvé ce qu’il était venu
chercher. Il est revenu avec l’idée que l’implantation de supérettes
dans les cités nippones serait bien plus lucrative pour son groupe. A
ses yeux, le Japon et sa densité urbaine étaient parfaitement adaptés
au convenience store. Et force est de constater que le jeune Suzuki
Toshifumi a eu le nez fin, puisqu’aujourd’hui 7-Eleven domine très
largement le marché des konbini avec 24 408 magasins sur les 43 668
recensés dans tout l’Archipel. Lawson, son principal concurrent est
loin derrière avec seulement 13 290 supérettes. Le succès de 7-Eleven a
été tellement fulgurant que le franchisé japonais a fini par racheté,
en 1991, plus de 70 % du capital de la société américaine, dont les
opérations aux Etats-Unis n’étaient plus aussi florissantes. La
réussite de 7-Eleven au Japon s’explique notamment par la parfaite
maîtrise du système de distribution qui permet de fournir rapidement
les magasins en fonction de leurs besoins. L’entreprise dispose en
effet d’un système de commande par satellite qui donne aux gérants des
différentes boutiques des informations complémentaires, comme la météo
par exemple, qui peuvent se révéler très utiles pour proposer plus de
boissons fraîches lorsque la température est à la hausse et des
produits frais quand la pluie n’incite pas les consmmateurs à se rendre
chez leur marchand de légumes habituel.
Il n’est donc pas étonnant que les responsables de la chaîne de
supérettes lorgnent désormais d’autres marchés, puisqu’ils savent que
la concurrence sur le territoire japonais ne leur permet plus d’espérer
une croissance aussi grande que par le passé. La Chine est donc leur
prochain objectif affiché. Présent sur le sol chinois depuis avril
2004, 7-Eleven espère y implanter pas moins de 350 magasins d’ici 2008,
l’année des Jeux olympiques de Pékin. A la différence de Lawson qui a
ouvert sa première franchise en 1996 et qui en détient actuellement
près de 260 notamment à Shanghai, 7-Eleven s’est montré assez prudent,
attendant que les autorités chinoises adoptent des réglementations
favorables. Depuis février 2005, le marché est définitivement ouvert
dans ce secteur, et la société japonaise peut ainsi investir et
développer sa marque d’autant plus facilement que les consommateurs
chinois semblent très friands de ce style de magasins.
Il va sans dire que le savoir-faire de 7-Eleven lui assure de
s’imposer. “Nous ne nous attendions pas à un tel succès”, confiait
d’ailleurs Ushijima Akira, le patron de 7-Eleven Chine, après
l’ouverture réussie, le 24 août dernier, du 22ème konbini à Pékin.
C. L.
Entrée d’un 7-Eleven à Pékin, Chine
ATTENTION À LA CONCURRENCEEn
lisant ce dossier, certains d’entre vous pourront se dire que la
situation des konbini est tellement confortable aujourd’hui qu’ils
peuvent voir leur avenir en rose. Détrompez-vous. Si l’on en croit, le
très sérieux Nikkei Business, hebdomadaire du non moins sérieux groupe
Nikkei, “2005 a marqué le commencement de la guerre finale entre les
convenience store”. D’après le magazine économique, il est peu probable
que toutes les chaînes de magasins (on en compte actuellement 41)
résistent et survivent. L’arrivée des magasins discount oblige
désormais les konbini à adopter une stratégie beaucoup plus agressive
alors que, par le passé, chacun occupait son territoire et se
partageait un marché relativement stable, en proposant des prix tout
aussi stables d’un magasins à l’autre, d’une chaîne à l’autre.
L’implantation de la chaîne Store 100, dont le principe est d’offrir
des produits à 100 yens et qui espère ouvrir 1000 boutiques d’ici 2008,
ne manque d’inquiéter et constitue une réelle menace pour les gérants
de konbini. C. L.CHRONOLOGI
1969 : Ouverture à Osaka de My Store que l’on considère comme le premier exemple de konbini au Japon.
1971 : A Sapporo s’ouvre la première boutique de la chaîne Seiko Mart.
1974 : Le 15 mai, 7-Eleven commence sa conquête du marché japonais en implantant sa première boutique à Tokyo.
1975 : Les konbini sont désormais ouverts 24h/24
1981 : Les supérettes assurent un service de garde de colis.
1987 : Il est possible de régler ses factures de téléphone ou de gaz.
1996 : Acheter ses places de spectacle n’est plus un problème dans les
supérettes. Elles proposent également des jeux vidéo et assurent un
service d’envoi de colis.
1999 : Les distributeurs automatiques de billets font leur apparition.
2003 : Lawson assure certains services postaux.
2004 : La vente de certains produits médicaux est autorisée.