“Votre Premier ministre s’appelle comment déjà?” “Kozumu? Koisumo?” Le correspondant de l’Asahi Shimbun qui couvrait la visite de Koizumi Junichirô à Paris pouvait une nouvelle fois constater que ses confrères français avaient toujours autant de mal à mémoriser le nom du premier magistrat japonais malgré son étonnante popularité au pays du Soleil levant. Contrairement aux espoirs des grands journaux japonais, la presse française n’a pas déroulé le tapis rouge pour le chef du gouvernement nippon, ne lui consacrant somme toute qu’une place modeste alors que les colonnes des quotidiens japonais n’en finissent pas d’écrire sur cet homme. Il n’y a pas encore si longtemps, écrire un article sur le Premier ministre japonais s’apparentait à une corvée pour la plupart des journalistes et sa publication revenait à perdre des lecteurs dans la mesure où le peu d’épaisseur des hommes qui ont occupé cette charge incitait davantage à replier le journal qu’à le dévorer.
A l’instar du phénomène Loft Story en France, qui a permis à l’ensemble de la presse, y compris des journaux réputés sérieux comme Le Monde et Libération d’exploiter le filon pour multiplier leurs ventes, Koizumi Junichirô constitue un sujet de choix pour les journaux et les magazines japonais sans oublier la télévision. La forte personnalité du nouveau Premier ministre et sa façon originale de gouverner ont suscité un fort engouement dans l’opinion publique. Les sondages n’en finissent pas de battre des records. Jamais un chef de gouvernement n’a recueilli autant de soutien – 84 % dans le Mainichi Shimbun (1/07/01) – dans l’histoire de l’après-guerre, ce qui illustre l’immense espoir de changement d’une population qui attend depuis une décennie une sortie hypothétique de crise. L’extraordinaire popularité de M. Koizumi est très bien entretenue par l’intéressé qui multiplie les déclarations et utilisent des moyens originaux pour maintenir le contact avec ses administrés. La mise en place, par exemple, d’une lettre d’information diffusée chaque semaine par courrier électronique lui permet de s’adresser de façon plus personnelle aux Japonais qui se sont massivement inscrits pour la recevoir. Le Premier ministre s’y confie, donnant un peu d’humanité à une fonction jusque-là réservée à des hommes aussi souriants qu’une porte de prison.
Cette politique de communication orchestrée par le Premier ministre et son équipe s’est traduite par un retournement complet de l’opinion en faveur du Parti libéral démocrate (PLD) dont on ne donnait pas cher de la peau il y a encore trois mois. Lors d’un scrutin local important à Tokyo, le PLD a réussi à battre ses principaux rivaux, alors qu’on lui prédisait une sévère défaite. Dès lors, le gouvernement entrevoit d’un bon œil les élections sénatoriales qui auront lieu à la fin du mois de juillet, car il est aujourd’hui quasiment certain d’éviter une déroute au PLD. Le plus dur reste à faire, à savoir le lancement d’une véritable politique capable de sortir le pays de l’ornière. S’il s’y prend aussi bien qu’avec les médias, les Japonais peuvent s’attendre à un vent de réformes. Toutefois, les résistances seront grandes notamment au sein de sa propre formation où certains sont prêts à défendre chèrement leur pré carré. Tant que les médias accompagneront le Premier ministre, il pourra compter sur le soutien de l’opinion. Il existe un cercle vertueux dont chacun profite. Néanmoins M. Koizumi devra faire attention à ne pas “user” son image. A force d’apparaître dans les journaux et à la télévision, les Japonais risquent de se lasser. Lors du sommet du G8 qui aura lieu à Gênes à la fin du mois de juillet, les grandes chaînes dépêcheront sur place les équipes de leurs émissions matinales dont la spécialité est d’observer par le petit bout de la lorgnette la vie des personnalités – en particulier du show-biz.
Surtout regardés par les femmes au foyer, ces programmes constituent un élément important dans la stratégie de communication de M. Koizumi. C’est un peu comme nos hommes politiques en France qui se font photographier chez eux dans leur intimité et acceptent la publication de ces photos dans les colonnes de Paris Match afin de “se rapprocher du petit peuple”. Si le phénomène n’étonnera donc pas les Français, il reste encore inédit au Japon. Par le passé, l’essentiel de la communication d’un homme politique passait par la publication d’ouvrages dans lesquels il détaillait ses idées et ses ambitions pour le pays. Lorsqu’en 1972 Tanaka Kakuei publia Nihon Rettô Kaizôron (Plan pour remodeler l’Archipel du Japon), il en fit un best-seller car à cette époque, les Japonais étaient encore très attachés à la chose écrite. Au cours des années suivantes, les livres programmes ont moins bien marché à mesure que la population s’est davantage tournée vers l’image pour s’informer, au détriment de l’écrit. Koizumi Junichirô apparaît comme le premier politicien nippon à avoir compris l’importance des mass médias dans l’Archipel. En s’affichant ou en laissant les médias exploiter son image de réformateur, il l’entretient et la pérennise. Toutefois, l’heure de vérité, c’est-à-dire l’action politique elle-même, va bientôt sonner car l’état de grâce médiatique ne pourra pas durer éternellement sans contrepartie. Koizumi a intérêt d’y penser s’il ne veut pas finir usé avant l’heure.