CE N’EST PAS LE MOMENT DE FAIRE LE CABOT
Je suis un chien, et je vais bientôt me faire un nom… Vu ce qu’“elle” m’a acheté pour aller frimer autour des bacs à sable, je vais bientôt être un “chien celeb’”, ou alors j’y connais rien. “Elle” m’a emmené l’autre jour dans une boutique de mode pour chiens afin de faire quelques emplettes. C’est en croisant dans la rue un cocker que ça lui a pris. Sa maîtresse, elle-même habillée d’un yukata aux motifs floraux, l’exhibait au bout de sa laisse alors qu’il trottait devant, tout fier dans un yukata de coton avec un dragon tissé dans le dos, avec une ceinture obi bien sûr. J’ai bien vu alors dans ses yeux à “elle” que je lui faisais presque honte, à poil avec juste mon collier autour du cou. Moi-même, face à ce coquet cocker, je ne savais quelle attitude adopter… Me moquer de lui pour cet accoutrement ridicule, qui lui allait comme un plastron à un canard, ou baver d’envie devant sa tenue en phase avec l’été, saison des feux d’artifice et des éventails déployés. Toujours est-il que le lendemain, nous entrions “elle” et moi dans cette boutique spécialisée dans le “pet-à-porter” canin pour parfaire ma garde-robe. Oubliez le bandana, devenu on ne peut plus banal. Vous auriez dû me voir, dans la cabine d’essayage, avec un tuxedo pour chien dernier cri, avec nœud pap’ et tout le toutim… J’avais fière allure. Heureusement que je suis un mâle, parce que l’équivalent pour les chiennes, c’est la robe de mariée blanche, avec voilette. J’ai pas pensé à vérifier s’il y avait aussi la jarretière…
Le tuxedo, c’est bien, mais uniquement pour les grandes occasions. Et pour aller courir dans le parc, c’est pas ce qu’on fait de plus pratique. J’ai donc eu droit à toute la panoplie de la mode pour chien, du pyjama (si, si, ça existe…) au pull-over, en passant par le manteau de pluie, le débardeur, la culotte en jean, la tenue de roquet (pardon, de rocker…) en cuir. “Elle” a particulièrement flashé sur une tenue “cool”, pour l’été, conçue dans un tissu bien aéré, avec un motif de glace à deux boules dessus. Ça, c’est sur qu’au bac à sable, c’est moi qui vais les avoir, les boules… Remarque, ça a failli être pire, car “elle” m’a fait enfiler, “juste pour voir comme tu es chou”, une tenue rayée jaune et noire, avec un bonnet terminé par de fausses antennes. De quoi j’avais l’air ! On aurait dit Maya l’abeille… Je veux bien croire que le Japon est le royaume du cosplay, mais quand même, j’ai ma fierté. Dommage qu’il ne me manque que la parole, je lui aurais fait part du fond de ma pensée. “Elle” n’a cependant pas osé me faire enfiler la tenue de dragon, car c’est quand même bizarre, un fox-terrier vert avec des écailles rouges sur le dos. Après m’avoir fait tourner en bourrique pendant deux heures dans la boutique, “elle” est revenue à des sentiments plus conventionnels, et le fonctionnel a pris le pas sur le carnaval. Le vendeur lui a donc proposé une tenue tissée avec un fil traité anti rayons UV, pour bien protéger ma peau des effets nocifs du soleil. Comme si mes poils n’y suffisaient pas ? Un autre modèle était “anti-insectes” et un autre encore “anti-odeurs”. Pourquoi faut-il vouloir absolument tout aseptiser, dans ce pays, nom d’un moi ! C’est vrai, quoi, si on sent si mauvais que ça, laissez-nous tranquillement dormir dans nos niches, au lieu de nous transformer en chiots cadum ! Bientôt, vous allez vous plaindre parce qu’on ne sait pas marcher sur deux pattes… Faites des enfants, au lieu de nous prendre pour des succédanés de poupons ! Je veux bien être gentil, faire le beau, donner la papatte, ne pas aboyer contre les “aspiratueurs” qui veulent me faire la peau et m’assourdissent les oreilles, être déguisé en arbre de Noël et manger des croquettes bio, mais y’a des fois où il faut pas pousser ! C’est que j’ai ma fierté, moi aussi. Nous, les chiens, on n’est pas fait pour jouer à la poupée, surtout quand la poupée, c’est nous… C’est quoi la prochaine étape ? Le rouge à babines et les ongles manucurés, avec des petites étoiles comme les Kogyaru de Shibuya ? On va finir en Deco-dogs, comme les deco-phone? Faut pas deco-nner (celle-là, j’ai pas pu résister… c’est plus fort que moi, dès que j’aperçois un jeu de mots, je cours après comme le jeune chiot que j’étais après les voitures arrêtées).
Je suis un chien, nom de nom, et j’ai bien l’intention de le rester. Et si “elle” n’arrête pas de m’embêter, je sens que l’instinct va me monter au museau, tant pis pour mon petit confort, je vais “la” mordre. Chienne de vie, va…
Etienne Barral
Illustration : Pierre Ferragut