Comment expliquez-vous le problème qu’a connu Toyota ?
F. T. : De prime abord, on peut parler d’un échec de Toyota dans sa gestion de la situation de crise. Mais en regardant d’un peu plus près, on constate que c’est un problème structurel complexe dont les causes sont multiples. Certaines sont propres à Toyota, mais d’autres concernent l’ensemble du secteur automobile mondial. On peut identifier trois causes. La première est liée à la complexification du produit automobile. La seconde concerne le rythme de croissance de la production mondiale de Toyota qui a été trop rapide. Enfin, Toyota s’est laissée aveugler par un excès de confiance vis-à-vis de la qualité de ses pièces. Les normes très strictes en matière d’émissions de CO2, les questions de consommation de carburant, le degré de sophistication exigé par les clients ou les normes de sécurité ont eu pour conséquence de complexifier petit à petit les véhicules. Mais cela ne concerne pas seulement Toyota. C’est un problème auquel sont confrontés tous les constructeurs qui se concurrencent notamment dans les pays industrialisés. Mais dans le cas de Toyota, l’augmentation rapide des volumes de production a pesé de façon extrême sur le processus de contrôle de qualité.
Les capacités d’adaptation des sites de développement et de production de Toyota sont reconnues au niveau international, mais face à l’accroissement des charges, Toyota n’a pas réussi à les mettre au niveau. En ce qui concerne les sites de production au Japon, du moins ceux que j’ai passés au crible, ils ne sont pas menacés de déclin, mais de façon générale, le problème lié à la qualité des produits surgit lorsque l’équilibre entre la capacité de contrôle et la charge de travail est rompu. De façon théorique, si la charge augmente, le problème apparaît même si la capacité en elle-même ne décline pas.
Est-ce lié à la globalisation ? Est-ce un problème de communication ?
F. T. : Ces deux éléments sont liés. D’abord, la capacité de production de Toyota n’est pas remise en cause. D’ailleurs, le problème auquel le constructeur japonais doit faire face aujourd’hui est un problème de conception et non un problème de production. On doit donc se demander comment doit être géré le développement des produits et la capacité à en assurer le contrôle de qualité. Toyota et les autres constructeurs japonais sont bien meilleurs que les constructeurs occidentaux au niveau du développement et de son efficacité. Il n’y a donc pas péril en la demeure. Cependant, comme je le disais, la complexification des nouveaux produits, l’augmentation du nombre de modèles qui accompagne la mondialisation a accru de façon dramatique la charge liée au développement des produits et il est fort probable que Toyota ait été dépassée par cela. Concernant les problèmes de communication, on peut dire que dans un premier temps, Toyota a montré son inefficacité à communiquer avec les médias américains. Mais le plus grave, c’est l’incapacité de Toyota d’adapter son discours avec le pays où le véhicule est utilisé. En ce qui concerne la question du tapis de sol, l’information selon laquelle il n’est pas rare aux Etats-Unis à la différence du Japon qu’on en utilise deux n’a pas été suffisamment prise en compte par le siège de Toyota au Japon.
Le contrôle de qualité était un point fort de Toyota, mais le rappel de millions de véhicules a eu un effet négatif sur cette image de marque.
F. T. : La question du contrôle de qualité montre que Toyota n’a pas réussi à adapter ses capacités de contrôle à l’augmentation des charges. Tandis que les réseaux de fournisseurs, les centres de développement et de production se développaient dans le monde, les capacités de contrôle de qualité ont vraiment pris du retard. Par exemple, dans le cas de la pédale d’accélérateur, il s’agit d’un problème de conception qui est survenu chez un fabricant de pièces détachées américain, il n’empêche que la garantie de la qualité du produit comme sa conception générale relèvent de la responsabilité de Toyota. On pouvait se douter que le problème survenu dans une entreprise américaine de pièces détachées dont la conception mécanique n’est guère reconnue soulignerait le retard important pris dans le renforcement du réseau global de contrôle de qualité.
Les systèmes électroniques ont été mis en cause. On dit que cela va avoir un impact sur les fabricants japonais. Qu’en pensez-vous ?
F. T. : Comme je l’ai dit, les exigences en matière d’environnement et de sécurité ont contribué à la complexification du produit automobile sur les marchés des pays développés, notamment au niveau des composants électroniques. Plus qu’un problème de Toyota ou des fabricants d’électronique japonais, c’est un problème auquel sont confrontés les constructeurs du monde entier. Reste à savoir comment on peut éviter les dysfonctionnements qui se produisent dans l’utilisation complexe d’unités de contrôle électronique et de logiciels dont les lignes de code se comptent par dizaines de millions. Ce défi est une course de longue haleine qui vient juste de commencer. Il se trouve qu’un groupe japonais qui faisait partie du peloton de tête a subi un revers, mais cela aurait pu arriver à n’importe quelle autre entreprise. Alors qu’il faudrait réduire la complexité et accroître les moyens pour y répondre, l’industrie japonaise trop sûre d’elle-même a tendance à rendre les choses plus complexes que nécessaire. Il faut qu’elle en prenne conscience.
Quel est votre vision de l’avenir de Toyota après cette affaire ?
F. T. : Pour ce qui est de Toyota, je suis pessimiste à court terme et relativement optimiste à long terme. A court terme, les ventes de Toyota vont chuter. Mais si l’on regarde à plus long terme, compte tenu des exigences en matière de sécurité et de respect de l’environnement dans les pays développés, je pense que Toyota sera en mesure de répondre à des situations complexes.
Après l’affaire Toyota, quel est l’avenir du “made in Japan” ?
F. T. : Cette affaire Toyota n’affectera pas fondamentalement la position de l’industrie japonaise dans son ensemble dans les mois à venir. En ce qui concerne l’avenir du “Made in Japan” au cours du XXIème siècle qui connaîtra un renforcement du phénomène de la mondialisation, si on regarde à plus long terme, je pense que les produits de qualité supérieure qui illustrent la capacité de conception et de production japonaise resteront, les autres disparaîtront. C’est aussi simple que cela.
Propos recueillis par Claude Leblanc