Ecrivain à la carrière fulgurante, Natsume Sôseki a laissé derrière lui une œuvre tout à fait originale en terme de création romanesque. Celle-ci démarre en janvier 1905 lorsqu’il donne à la revue Hototogisu un texte intitulé Wagahai wa neko de aru (Je suis un chat) qui fut très bien accueilli par la critique et les lecteurs. Quelques mois plus tard, en mai 1905, il rédige Koto no sorane (Echos illusoires du luth), une des deux nouvelles qui composent le recueil publié par Le Serpent à plumes. Comme dans Shumi no iden (Goût en héritage), la seconde, on retrouve non seulement la maîtrise du récit mais aussi le désir de l’auteur d’exposer à ses contemporains les contradictions de leur époque et de leur pays qui vient de faire une entrée fracassante dans le concert des nations, en humiliant la Russie. Né au moment où le pays du Soleil-levant entrait dans un processus d’ouverture sur le monde, Natsume Sôseki a toujours été fasciné par le présent, c’est-à-dire les changements induits par la modernisation accélérée, sans pour autant en être le prisonnier. La première nouvelle, Echos illusoires du luth, en est une belle illustration. L’opposition des deux personnages, l’un vivant dans un Japon où le décompte du temps se fait en fonction des saisons et les croyances populaires ont autant de valeur sinon plus que les vérités scientifiques ; l’autre ayant décidé de rejeter ce Japon d’avant. “Je croyais fermement que depuis la Restauration (1868), aussi bien les fantômes que les porteurs de palanquin avaient plié bagage”, explique ce dernier. Natsume Sôseki se demande en définitive si le Japon n’est pas allé trop vite dans son désir de se mettre au niveau de l’Occident. Le choix de la guerre russo-japonaise comme toile de fond des deux histoires n’est pas innocent. Un siècle plus tard, quand on lit ces deux nouvelles, on se dit qu’elles sont encore terriblement d’actualité. Car le Japon et les Japonais semblent toujours aussi partagés entre leur histoire ancienne et leur désir de profiter de la civilisation moderne. C. L.
Echos illusoires du luth suivi du Goût en héritage, Natsume Sôseki, trad. par Hélène Morita, Le Serpent à plumes, 2008, 19€.