Le marché musical japonais ne se porte pas très bien. Les ventes de disques sont en baisse. Mais derrière cette apparente morosité se cache une vraie vitalité qui ne cherche qu’à se montrer.
Vu de France à un moment où la culture populaire nippone fait de plus en plus d’émules dans notre pays, on pourrait croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes du côté du Japon. La presse japonaise ne rate pas une occasion de montrer à ses lecteurs que les étrangers se sont entichés des héros de manga ou qu’ils commencent à apprécier les jolis minois des chanteuses et chanteurs venus du pays du Soleil-levant. Bref l’exportation de produits culturels japonais bat son plein, contribuant à alimenter ce que l’Américain Douglas McGray a défini comme le “Produit National Cool”. Pourtant au Japon, tout le monde ne se satisfait pas de cette bonne santé à l’exportation. Les chiffres nationaux ne sont pas à la hauteur de ce qu’ils étaient auparavant et l’on ne sait pas très bien comment s’y prendre pour redresser la barre. Le manga ne fait plus autant recette que par le passé. Certains estiment que la faute en incombe à la mode des jeux vidéo qui a détourné l’attention de nombreux lecteurs. D’autres affirment que le genre ne s’est pas suffisamment renouvelé pour entretenir la flamme des fans du 8ème Art. Quelles que soient les explications, force est de constater que le manga ne séduit plus autant les Japonais que par le passé.
Au niveau musical, le constat est similaire. Alors qu’il y a une dizaine d’années, les singles qui dépassaient le million d’exemplaires vendus se comptaient sur les doigts des deux mains, en 2004, il n’y en avait qu’un seul. Le groupe Orange Range avec son titre Hana [La Fleur]. La même tendance est observable au niveau des albums. En 1999, 30 albums parmi lesquels le premier disque de Utada Hikaru (7,6 millions d’exemplaires) avaient dépassé le seuil symbolique du million d’exemplaires vendus. En 2004, seulement 10 albums ont connu cet heureux destin. Les raisons pouvant expliquer cette évolution sont nombreuses et variées. La principale, selon les responsables du secteur, est liée au vieillissement de la population. Selon une enquête publiée par la Fédération nationale de l’industrie phonographique, la part que les 15-24 ans occupent au niveau des ventes de disques est passée de 67 % en 1999 à 43 % en 2003 tandis que dans le même temps la part des générations plus âgées (mais moins dépensières dans ce secteur) a nettement augmenté. C’est un facteur important, mais qui n’explique pas tout. Comme dans d’autres pays, la crise du disque s’explique aussi par la multiplication des échanges de fichiers musicaux sur Internet et des copies, en dépit des mesures prises pour les limiter.
Si les chiffres de ventes des grandes maisons de disques habituées à crever des plafonds ne sont pas à la hauteur, il faut peut-être chercher l’explication dans leur manque d’imagination et d’adaptation à l’ère cybernétique. Car on ne peut pas reprocher aux Japonais d’être moins musiciens ou moins entreprenants dans le domaine musical que par le passé. En effet, les nouveaux talents sont légion. En 2000, on en recensait 132 ; en 2004, ils ont été plus de 300 à tenter leur chance. Cela démontre que le Japon demeure un pays très dynamique dans le secteur de la musique, d’autant qu’il est de plus en plus aisé de produire sa propre musique et surtout de la diffuser sans passer par les canaux traditionnels. Par ailleurs, tout en continuant à plébisciter quelques valeurs sûres, le public japonais est de plus en plus enclin à explorer de nouveaux genres musicaux et donner leur chance à des artistes qui sortent des sentiers battus. La bonne santé relative de la scène indépendante en est l’illustration la plus sonore. De nombreux Japonais, en particulier les jeunes, sont sensibles aux textes souvent engagés de ces musiciens qui, comme eux, ne se reconnaissent plus forcément dans la société actuelle. Le succès d’un groupe comme Mongol800, originaire d’Okinawa, dont l’album Message s’est vendu à près de 2,7 millions d’exemplaires en 2002 ou les 600 000 exemplaires de Hy, une autre formation venue d’Okinawa, montrent que les Japonais sont toujours prêts à “consommer” de la musique à partir du moment où celle-ci répond à leurs exigences. Des sites Internet comme Muzie (www.muzie.co.jp) ou Bandest (www.gaou.ne.jp/bandest/) contribuent à faire connaître tous ces artistes qui ne demandent qu’à exister voire à s’exporter. La venue à Paris du groupe Ra:In emmené par Pata, l’ancien guitariste de X Japan, qui a déjà tourné à Taiwan en 2004, confirme que le Produit National Cool peut encore espérer grossir un peu, mais pas forcément avec le même contenu.
Claude Leblanc
Malgré la crise qui frappe l’industrie du loisir au Japon, en particulier le secteur du karaoke, la plupart des succès musicaux sont liés à leur capacité à séduire les amateurs de karaoke.
Les valeurs sûres de la musique pop japonaise ne se démodent jamais. A chaque nouvelle sortie d’album, celles et ceux, qui ont bercé toute une génération de leurs mélodies, font un tabac.
En dépit de la retraite prématurée de Cocco et de la carrière cinématographique de UA, la pop féminine se porte bien grâce à Utada Hikaru ou encore Shiina Ringo qui ont imposé leur style et leur personnalité.
Sois beau et chante. Voilà résumé en quelques mots le genre musical qui a surtout fait fureur au début des années 90. Aujourd’hui on préfère les artistes qui ne se cachent pas derrière du fond de teint.
{BREAK}
RENCONTRE AVEC : FURUKAWA SHIN,
RÉDACTEUR EN CHEF DE ROCKIN’ON JAPAN
Depuis
1986, le mensuel Rockin’on Japan offre aux lecteurs japonais une vision
d’ensemble de l’actualité musicale au Japon. Grâce à ses interviews, à
la variété de ses articles et à la qualité de ses photos, il s’est
imposé dans le paysage médiatique nippon. Furukawa Shin, son rédacteur
en chef, nous parle du rock nippon, de ses difficultés à s’exporter et
des nouvelles formes de distribution qui bouleversent la façon dont les
Japonais consomment la musique.
D’après
vous, quelles sont les raisons qui expliquent les difficultés du rock
japonais à se faire connaître en dehors de l’Archipel ? F.
S. : C’est vrai qu’il y a peu de concerts ou de tournées de promotion
qui sont organisés à l’étranger. Cela est dû en grande partie au fait
que le rock nippon n’a pas encore réussi à dépasser les problèmes liés
à la différence de langue et de culture que les publics étrangers
peuvent rencontrer face à des artistes japonais.
Pourtant la scène musicale japonaise semble très dynamique. F.
S. : On peut dire que le rock japonais est en voie de développement.
Par conséquent, la scène musicale est en perpétuelle ébullition. Chaque
jour, on voit apparaître des groupes nouveaux dont les styles sont très
variés. D’une certaine façon, il n’est pas faux d’affirmer qu’à la
différence des jeunes européens ou américains, le rock est perçu par la
jeunesse japonaise comme un vecteur de renouvellement et de fraîcheur
par rapport à d’autres moyens d’expressions artistiques.
A
ce propos, il n’est pas rare que le rock serve à exprimer une certaine
frustration vis-à-vis de la société. C’est souvent le cas en Occident.
Qu’en est-il aujourd’hui au Japon qui, dans les années 1980, a connu un
groupe comme RC Succession dont le combat portait notamment sur le
nucléaire ? F. S. : Actuellement, il y a très peu de
groupes ou d’artistes de rock qui expriment de façon directe leur
opposition au pouvoir ou à la société. Cependant, l’expression d’un
malaise à l’égard de la société actuelle ou de la situation dans le
monde se retrouve sous différentes formes dans la musique de nombreux
artistes. Plutôt que de provoquer le public avec des provocations, ils
choisissent des formes plus adaptées, plus subtiles peut-être pour
amener les Japonais à prendre conscience des réalités pas toujours très
réjouissantes de notre monde.
Bien
que la scène musicale japonaise semble en bonne santé, le marché du
disque traverse au Japon comme dans d’autres pays une crise. Le
développement de nouvelles formes de distribution notamment via
Internet est en train de bouleverser le marché de la musique. Qu’en
pensez-vous ? F. S. : Notre magazine se positionne
comme un guide destiné à aider ses lecteurs à faire leur choix face à
la multitude des nouveaux albums qui paraissent tous les mois. En ce
qui concerne la diffusion de la musique par des voies alternatives
comme Internet, il est vrai que cela se développe au Japon. Même si le
prix des morceaux reste élevé, allant de 157 yens à 368 yens [de 1,15
euro à 2,70 euros] le titre, alors qu’en Europe ou aux Etats-Unis le
prix ne dépasse pas un euro, il est évident que les Japonais sont de
plus en plus nombreux à se laisser séduire par l’achat de musique en
ligne. Le succès du iPod, le lecteur MP3 conçu par l’Américain Apple, a
prouvé aux entreprises japonaises qu’il était temps de rapprocher le
soft (la musique) du hard (le baladeur) afin de faciliter la
distribution. L’avènement des téléphones portables capables de stocker
de la musique et de la télécharger directement depuis un site Internet
illustre cette évolution. Néanmoins il existe des différences notables
entre le Japon et les autres pays qui empêchent un développement plus
rapide de ce secteur. La question des droits d’auteur (partagés entre
la maison de disque et l’artiste) ou encore l’existence des magasins de
location de disques bon marché ralentissent la progression.
Parmi les jeunes artistes japonais d’aujourd’hui, selon vous, quels sont les plus prometteurs ? F. S. : Bump of Chicken, Cocco et Ellegarden pour ne citer que ceux-là.