Certes, la scène de dégustation de spaghettis dans Tampopo n’est sans doute pas la plus réussie du film, mais elle a le mérite d’avoir marqué les esprits. On a encore en mémoire le sérieux avec lequel toutes ces Japonaises s’appliquent à aspirer leurs spaghettis en jouant à celle qui fera le plus de bruit, sous le regard outré de leur instructrice, fervente adepte des bonnes manières occidentales. C’est l’instinct qui remonte, le Japon des râmen, la soupe aux nouilles dans toute sa splendeur. Et tous ces spaghettis qui glissent entre les lèvres dans un concert de zuruzuru à vous écorcher les tympans… Oui mais voilà, il y a bien quelque chose que je dois admettre: je n’ai jamais réussi à manger des râmen sans en faire autant et sans me brûler les lèvres. La soupe de nouilles est un plat qui se mange chaud, très chaud, et si vous attendez que la température du bouillon s’adapte à la délicatesse de votre bouche, c’est bouillie de nouilles garantie. Terrible dilemme.
Autre dilemme, tout aussi terrible: celui du fond de verre rempli de glaçons. C’est bien agréable de boire à la paille, surtout pour finir les derniers millilitres quand toute la glace vous empêche de porter le verre à vos lèvres. Mais le bruit occasioné fait vraiment mauvais effet. Vous assouvissez votre désir et vous passez pour un sans-gêne mal éduqué, ou vous préservez votre image et vous terminez la journée l’esprit torturé par l’idée que vous n’êtes qu’un gros snob. Et si en fait il n’y avait aucune honte à siroter comme un gosse en public? C’est peut-être ce que se disent cette nouvelle génération d’hommes au Japon qui, aux dires du magazine Aera, sont de moins en moins enclins à l’alcool et aux beuveries de fins de journée, quitte à s’isoler pour déguster un jus de fruits 100% naturel, paille aux lèvres: chûchû