Dans Lignes, MURAKAMI Ryû consigne un écheveau de récits épars dans lequel se croisent les trajectoires de vingt personnages en l’espace d’une seule nuit. L’action se déroule dans la mégalopole de Tôkyô, dans une atmosphère ultraurbaine que l’auteur veut oppressante et triste. Les personnages apparaissent et disparaissent pour la plupart les uns après les autres, comme dans une course de relais.
L’histoire, qui a une structure éclatée divisée en 20 chapitres, n’a donc pas de personnage central mais tourne néanmoins autour d’une jeune femme, Yûko qui a la capacité de voir et d’entendre les signaux qui circulent dans les câbles électriques, et qui couche avec n’importe qui pour oublier ce qu’elle appelle son «symptôme». Le roman prend comme point de départ l’existence de MUKAI Hisao, un photographe presque quelconque de trente ans, plutôt introverti, et qui, bien que marié, n’a pas renoncé à aller «s’amuser» dans les lieux de plaisir. Sa femme ayant décidé brusquement de divorcer, il cherche désespérément un moyen de savoir avec qui elle s’entretient au téléphone, suspectant une liaison. Il croise alors par hasard Junko, qui lui parle d’une femme pouvant lire dans les câbles… Les rencontres, au nombre de 20, s’enchaînent ensuite à un rythme rapide pour aboutir finalement à Yûko. Les différents protagonistes, des marginaux pour la plupart, ont pour point commun la solitude, la négativité, la violence ou la déchéance, comme par exemple TAKAYAMA, réalisateur pour une chaîne de télévision qui frappe à mort des femmes rencontrées dans des bars, ou encore Yoshiki, une femme battue qui adopte une attitude de résignation devant ce qui lui paraît inévitable.
MURAKAMI Ryû dépeint encore une fois, avec agressivité, un Japon engloutit dans le malaise, dans la tristesse et dans le vide spirituel. Il s’efforce, comme il le dit lui-même dans la postface de l’ouvrage, de «traduire les mots» de ceux qui évoluent dans cet univers dépourvu d’âme que serait le Japon contemporain, de ceux qui ont été brisés et poussés à la destruction ou à l’autodestruction.
Clément Bonnier
Lignes
MURAKAMI Ryû,
(traduction Sylvain Cardonnel)
Éditions Philippe Picquier, Paris, 2000,
237 pages, 120 frs.