Mori Yoshirô est coutumier du fait. Il accumule les gaffes comme certains collectionnent les timbres. Le problème – et il est de taille – c’est que M. Mori est le Premier ministre de la seconde puissance économique de la planète et qu’il est parfois difficile de s’amuser de ses maladresses comme celle rapportée lors du dernier sommet du G8 à Okinawa. Connaissant la faiblesse de son anglais, le chef du gouvernement avait demandé conseil à ses collaborateurs pour qu’il puisse tenir une petite conversation avec Bill Clinton. On lui avait conseillé de dire “How are you ?” [Comment allez-vous ?] au président américain, lequel répondrait sans doute “Fine. Thank you and you ?” [Très bien merci, et vous ?]. M. Mori devrait alors rétorquer : “Me too” [Moi aussi]. Seul petit détail auquel personne n’avait pensé, c’est la difficulté qu’aurait le Premier ministre à prononcer ces expressions simples. Au lieu de dire “How are you ?”, M. Mori a dit à Bill Clinton “Who are you ?” [Qui êtes-vous ?], ce qui n’a pas manqué d’étonner le président américain. Mais celui-ci plein d’humour lui a répondu “I’m Hillary’s husband” [Je suis le mari d’Hillary], amenant la réponse préparée de M. Mori “Me too” [Moi aussi]. Cette situation burlesque a fait beaucoup rire les journalistes japonais présents sur place, mais a montré une nouvelle fois que Mori Yoshirô n’était peut-être pas à sa place en tant que chef du gouvernement japonais.
On se souvient qu’en mai dernier, Mori Yoshirô, en poste depuis six semaines, avait déclaré devant un parterre de parlementaires membres de la Ligue politique de l’Association des sanctuaires shintoïques que “le Japon est le pays des dieux, dont l’empereur est le centre”. Ces propos, qui faisaient remonter à la surface les heures les plus sombres du nationalisme japonais, avaient suscité de nombreuses réactions d’indignation au Japon et au-delà des frontières de l’Archipel. Et c’est là que le bât blesse. Lorsque les dérapages verbaux se limitent à la politique intérieure d’un pays, cela ne contribue certes pas à donner une bonne image à son auteur dans l’opinion publique mais cela n’entache pas l’image du pays à l’extérieur. En revanche, quand il s’agit de déclarations ayant des répercussions à l’étranger, il est indispensable de faire bon ordre et de prendre les mesures susceptibles d’éviter le renouvellement de tels propos.
La nouvelle gaffe du Premier ministre appartient à cette dernière catégorie et elle pourrait avoir des conséquences fort négatives sur le processus de détente dans la péninsule coréenne. En confiant à Tony Blair la manière avec laquelle le Japon entendait régler le cas des Japonais “enlevés par des agents nord-coréens”, Mori Yoshirô a montré une nouvelle fois son incapacité à gouverner car cela prouve que ce pays n’est pas en mesure de conduire une politique étrangère digne d’un pays comme le Japon à un moment crucial pour la région. Tandis que les deux Corée ont renoué le dialogue et que les Etats-Unis mêmes viennent – par l’intermédiaire de la secrétaire d’Etat, Madeleine Albright – de montrer leur intention de reprendre bouche avec Pyongyang, la confidence de M. Mori risque d’embarrasser les diplomates japonais lors de leurs futures rencontres avec les Nord-Coréens qui auront lieu début novembre à Pékin.
Dans ces conditions, on peut comprendre l’empressement de l’opposition mais aussi de certains membres du Parti libéral démocrate à exiger le départ du Premier ministre. Ce dernier a beau dire que “ceux qui réagissent de façon exagérée à [mes] propos n’ont pas non plus le profil à être des leaders politiques”, il ne peut pas empêcher de susciter une colère grandissante à son égard. L’opinion publique dans un sondage publié le 23 octobre par l’Asahi Shimbun n’est pas en reste puisque la cote de popularité du gouvernement Mori est en chute libre.
Une nouvelle fois, les responsables les plus importants de l’Etat prouvent leur immaturité à gouverner. La situation du Japon demande pourtant que la classe politique sorte de sa médiocrité. Non seulement cela permettrait au pays de trouver de nouvelles solutions à la crise que traverse le pays mais cela donnerait aussi la possibilité à l’Archipel de faire meilleure figure vis-à-vis de l’étranger. C’est indispensable pour que les gaffes de M. Mori ne deviennent pas le seul point de référence à l’extérieur.
Claude Leblanc