Comme le tonnerre qui annonce la tempête, l’économie japonaise voit s’abattre sur elle depuis quelques semaines des chiffres plus mauvais les uns que les autres au point d’inquiéter l’ensemble de la communauté internationale soucieuse d’éviter une récession généralisée. Que ce soit le taux de chômage (4,1 %) qui s’approche doucement mais sûrement de celui des Etats-Unis ou le PIB qui a enregistré sur une base annuelle un recul de 5,3 % au premier trimestre 1998, les responsables de la maison Japon voient l’ensemble des indicateurs économiques s’enfoncer progressivement dans le rouge sans pour autant parvenir à enrayer cette descente vers l’enfer. Même le yen montre des signes de faiblesse, amenant les Américains à intervenir massivement sur les marchés afin d’empêcher l’affaissement total du pays du Soleil levant. Avec 146 yens pour un dollar (17 juin), la monnaie japonaise a atteint son niveau le plus bas depuis 1990, date de l’éclatement de la fameuse bulle financière. Cette intervention massive de la part des Etats-Unis visait non seulement à donner un peu d’air au Japon mais aussi à éviter que la Chine n’ait à dévaluer sa monnaie, ce qui aurait eu pour effet d’entraîner le reste de l’Asie dans une nouvelle crise et fait désordre au moment de la visite de Bill Clinton sur le continent chinois.
Toutefois, l’aide apportée par l’oncle Sam pour soutenir le yen ne résout pas pour autant les problèmes auxquels est confronté le Japon à savoir l’entrée dans une phase de récession, un système bancaire au bord de la faillite incapable de faire face aux centaines de milliards de francs de créances douteuses dont les banques sont les dépositaires sans parler de la crise de confiance des Japonais consommateurs et industriels confondus qui ne savent plus à quel saint se vouer. La peur de voir leur pays sombrer dans une récession aussi profonde que celle des années 20 amène la population à moins consommer et à épargner davantage, entraînant le pays dans une spirale déflationniste dangereuse. Les entreprises avec un taux d’endettement élevé et leur capacité de production excessive réduisent les investissements et les exportations vers le reste de l’Asie. Au total, le niveau du chômage va augmenter et les banques vont voir leur situation empirer.
Quand on pense qu’il y a dix ans encore le “géant” japonais faisait peur. A cette époque, les entreprises nippones triomphantes “achetaient le monde”, provoquant dans de nombreux pays des réactions anti-japonaises fortes. On se souvient de ces parlementaires américains qui avaient brisé à coup de masse des produits made in Japan en signe de protestation. La roue a donc tourné et le “modèle” japonais qui faisait les gorges chaudes des enseignants dans les écoles de management est désormais considéré comme une erreur à ne pas répéter. Le succès du Japon était principalement dû aux relations très fortes qui existaient entre les entreprises, les banques et les fonctionnaires. Dix ans plus tard, l’échec du pays du Soleil levant est attribué aux “liens particuliers” qui unissent les acteurs de l’économie nationale.
Pour sortir de l’ornière et éviter que les Occidentaux ne lui taillent des croupières, le Japon doit entreprendre une vaste et radicale révolution qui l’amènera vers des cieux plus cléments. La première de toutes les réformes consiste à assainir l’ensemble de son système bancaire sans quoi il est difficile d’imaginer une sortie rapide de la crise. Bien sûr, les décisions à prendre seront douloureuses et dans le “pays du consensus”, il faudra une poigne de fer pour imposer ces choix difficiles qui passeront nécessairement par la fermeture des institutions financières les plus faibles et par la prise en charge des créances douteuses par l’Etat. La faillite de la maison de titres Yamaichi à l’automne dernier lâchée par l’Etat fait partie des signes de bonne volonté lancés par les autorités japonaises en direction de leurs partenaires pour leur faire comprendre que le Japon est entré dans l’ère des réformes. Mais faute d’un réel pouvoir et soumis à de nombreuses pressions venues de ses propres rangs, le Premier ministre Hashimoto Ryûtarô a beaucoup de mal à mettre en uvre les mesures salvatrices.
Les élections sénatoriales qui auront lieu début juillet devraient permettre de savoir si les Japonais font encore confiance à l’actuel gouvernement pour les conduire hors de la zone dangereuse. Si tel n’est pas le cas, il faudra rapidement désigner de nouveaux responsables capables de gérer une situation plus que délicate.