Au large de Nagasaki, cette île est un des sites industriels les plus intéressants du pays. Elle est désormais accessible au public.
Derrière sa silhouette qui se détache à l’horizon, on ne soupçonne pas ce que cette île recèle comme trésors. Ici pas question de temple bouddhique du XIe siècle ou de château comme celui de Himeji que nous présentions dans notre précédente édition. Ici tout est plus contemporain, mais tout aussi important que les vestiges les plus anciens, car ce que propose l’île de Hashima au regard des touristes résume l’histoire du Japon de la fin du XIXe siècle à nos jours. Pendant de nombreuses années, les Japonais ont superbement ignoré cette île de 60 000 mètres carrés rebaptisée, dans les années 1920, Gunkanjima [l’île cuirassé] parce que son architecture, vue de loin, rappelait le navire de guerre Tosa. Aujourd’hui, les Japonais la redécouvrent au même titre qu’ils commencent à s’intéresser à ce qu’on appelle l’archéologie industrielle. Comme les Français dans les années 1980, ils ont récemment pris conscience de l’importance de leur passé industriel qu’ils ont souvent négligé, détruit ou transformé en parc d’attractions comme le site sidérurgique de Yawata appartenant à Nippon Steel qui est devenu Space World. Hashima-Gunkanjima a purement été abandonnée en 1974, lorsque Mitsubishi, propriétaire des lieux, a décidé d’arrêter l’exploitation de la mine de houille qui était la raison d’être de ce site. Elle constitue un témoignage unique de la montée en puissance de l’industrie japonaise et d’un savoir-faire architectural unique. L’histoire a commencé de façon modeste en 1810 avec la découverte d’un gisement de houille. Puis, tout s’est accéléré à partir de 1890 lorsque Mistubishi a racheté l’île pour 100 000 yens. En quarante années, Hashima est passée du statut de rocher quasi vierge à celui de cité ouvrière où vivaient en moyenne 3 000 personnes. Au début des années 1960, elle en comptera plus de 5 000, faisant de ce lieu l’endroit le plus densément peuplé du monde. Pour loger tout ce petit monde, les ingénieurs ont rivalisé d’imagination et ont fait appel aux technologies de pointe pour construire en 1916 le premier immeuble en béton armé du Japon. Deux ans plus tard, Gunkanjima pourra s’enorgueillir de posséder alors le plus haut bâtiment du pays avec ses neuf étages. Chaque espace disponible a été exploité pour tenter d’améliorer le quotidien des mineurs et de leur famille qui vivaient coincés sur l’île tout au long de l’année. Les toits ont été transformés en jardin afin de permettre aux habitants de cultiver des légumes et même du riz. C’est cette vie quotidienne que l’on peut aussi retrouver à Gunkanjima. La présence de très nombreux objets laissés par la population au moment de son départ précipité en 1974 donne l’impression que l’île est peuplée de fantômes. Parmi eux figurent aussi ceux dont personne ne veut entendre parler : les Coréens. Représentant la main-d’œuvre forcée qui a travaillé sur l’île entre 1925 et 1945 dans des conditions très dures et subi de nombreuses discriminations, ils appartiennent à l’histoire de Gunkanjima au même titre que son architecture bétonnée, symbole du dynamisme économique d’un pays qui voulait faire partie du club des grandes puissances. En posant le pied sur Gunkanjima, on est rapidement pris de vertige par la force qui se dégage de l’ensemble. On comprend dès lors pourquoi certains ont décidé de se battre pour en sauvegarder la mémoire et la transmettre aux générations futures. Il faudrait maintenant qu’un travail de conservation soit entrepris, car les immeubles construits il y a près de 100 ans sont menacés de destruction. Pour accomplir ce voyage dans le temps, il existe désormais des visites organisées à partir de Nagasaki à qui appartient désormais Gunkanjima. Profitez-en.
Gabriel Bernard
EXPOSITION
Grâce à l’aide d’Espace Japon, David Arnaud a obtenu l’autorisation de la ville de Nagasaki de faire un reportage inédit à Gunkanjima en avril 2010, en se rendant dans la partie interdite au public. L’artiste exposera jusqu’au 27 novembre à Espace Japon une trentaine de ses photographies. Trois grands tableaux réalisés avec son père Guy Arnaud, peintre-sculpteur, viendront compléter cette exposition originale réalisée avec le soutien de la ville de Nagasaki, la Nagasaki Film & Media Commission et CLAIR Paris. A ne pas manquer le samedi 20 novembre de 19h à 21h, la projection d’un documentaire sur Gunkanjima et un concert exceptionnel du groupe franco-japonais Tristesse Contemporaine.
12, rue de Nancy 75010 Paris
Mardi-vendredi 13h-19h / samedi 13h-18h
www.espacejapon.com