Le saviez-vous ? Les Japonais vouent un culte à Fédor Dostoïevski au point que Jean-Philippe Jaccard, professeur à l’université de Genève et spécialiste de l’écrivain russe, n’hésite pas à parler de dostomania pour décrire cet engouement. Depuis que Kurosawa Akira a adapté L’Idiot (Hakuchi, 1951), le pays du Soleil-levant s’est mis à lire l’auteur de Crime et châtiment paru en 1866. Les Japonais ont non seulement dévoré son œuvre, mais ils s’en sont aussi inspirés, comme en témoigne l’excellent Syndrome 1866 signé Ochiai Naoyuki dont le cinquième volume est paru le 10 novembre chez Delcourt. Le titre original de ce manga est d’ailleurs Tsumi to batsu qui signifie en français crime et châtiment, un choix qui marque clairement la filiation avec l’œuvre originale. Sur son blog, Ochiai Naoyuki se demandait si le titre français serait de nature à amener les lecteurs à s’intéresser à son manga dans la mesure où “les Français ne semblent pas, dit-on, aimer les romans de Dostoïevski, en particulier Crime et châtiment”. En tout cas, l’histoire qu’Ochiai Naoyuki a développée est très prenante et ses personnages sont tout aussi forts que ceux imaginés il y a près de 150 ans par l’écrivain russe. Miroku a remplacé Raskolnikov, mais le malaise des deux étudiants est identique et il aboutit à la même conséquence : un meurtre. Tandis que le second supprime une vieille usurière, symbole d’une société russe en crise à la fin du XIXe siècle, le premier élimine une lycéenne, proxénète à ses heures, qui symbolise la dépravation morale du Japon en ce début de troisième millénaire. Ce que l’on appelle enjo kôsai (relation dite assistée) pour évoquer la prostitution lycéenne est devenu un fléau dans l’archipel, mais ce n’est pas sur ce sujet que l’auteur de Syndrome 1866 insiste. Il ne fait que rappeler une réalité que les Japonais n’aiment guère évoquer. Comme Raskolnikov, Miroku est torturé par le poids de son crime qui est décrit dans le deuxième et le troisième volume de façon tout à fait remarquable. Le découpage de la scène est particulièrement réussi. Ochiai Naoyuki parvient quasiment à nous faire partager les doutes et les tourments du jeune meurtrier. Celui-ci doit désormais vivre avec un sentiment de culpabilité qui le ronge littéralement et l’isole encore davantage. La lecture de ce manga m’a en tout cas donné envie de relire Dostoïevski. Merci M. Ochiai.
G. B.