Si les Japonais étaient appelés à choisir le prochain président des Etats-Unis, 66 % d’entre eux voteraient pour Barack Obama contre seulement 15 % en faveur de John McCain si l’on en croit un sondage réalisé par l’institut Gallup le 21 octobre dernier. La plupart des Japonais, comme beaucoup d’autres personnes dans le monde, attendent beaucoup du candidat démocrate s’il est élu. Ils espèrent qu’il tournera rapidement la page des années Bush qui, sur le plan des rapports bilatéraux entre les Etats-Unis et le Japon, ont été marquées par un profond bouleversement. Il est en effet loin le temps où le Japon pouvait s’enorgueillir d’être “le porte-avions insubmersible des Etats-Unis” comme aimait à le répéter l’ancien Premier ministre Nakasone Yasuhiro en 1985. A l’époque, la guerre froide n’était pas terminée et l’Amérique de Reagan qui sortait péniblement de la crise liée au second choc pétrolier avait besoin de l’argent japonais pour sortir la tête de l’eau financièrement. Après avoir bénéficié de la protection militaire des Etats-Unis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les Japonais montraient ainsi leur reconnaissance à un pays sans lequel la reconstruction économique aurait été beaucoup plus compliquée et longue à mettre en œuvre. L’alliance entre Washington et Tokyo était donc bien réelle à l’époque, chacun y trouvant son compte. Mais l’effondrement de l’Union soviétique et l’éclatement de la bulle financière ont eu raison de la belle entente nippo-américaine qui, depuis une vingtaine d’années, connaît plus de bas que de hauts. Pourtant le gouvernement japonais a fait de gros efforts pour faire plaisir à leurs amis américains, en participant financièrement à la première guerre du Golfe (1990) et en soutenant les Etats-Unis dans leur croisade en Irak malgré une très forte opposition parmi la population japonaise. Mais cet engagement du Japon aux côtés des Etats-Unis s’est heurté à ce que la Secrétaire d’Etat américaine, Condoleeza Rice, appelle “le nouveau réalisme américain”. En d’autres termes, les Etats-Unis estiment que le Japon n’a plus la valeur stratégique du passé et qu’il vaut mieux jouer d’autres cartes pour défendre les intérêts américains. C’est d’autant plus cruel pour le Japon que beaucoup de responsables politiques locaux continuent de croire que l’alliance nippo-américaine reste une priorité à Washington. C’était évidemment commode d’imaginer que les Américains seraient reconnaissants de l’engagement indéfectible du Japon, mais c’était oublier que les relations internationales font peu de cas des sentiments et que la realpolitik est désormais l’expression à la mode dans les chancelleries du monde entier. La décision prise, le 11 octobre 2008, par Washington de supprimer la Corée du Nord de la liste des Etats soutenant le terrorisme est l’expression la plus récente de ce que certains observateurs japonais présentent pudiquement comme un manque de délicatesse (mushinkei). Il s’agit bien sûr d’un euphémisme, car chacun sait que le dossier nord-coréen est très important au Japon dans la mesure où de nombreuses questions n’ont pas été réglées, notamment celle des ressortissants japonais enlevés par le régime de Pyongyang [voir OVNI n°607 du 1er avril 2007). Le gouvernement japonais prévenu trente minutes avant l’annonce officielle a regretté la décision, mais n’a pas réussi à imposer ses arguments à des Américains désireux d’éviter un nouveau foyer de tensions dans le monde et de satisfaire la Chine. Les sujets de friction entre Tokyo et Washington — comme la question des bases américaines à Okinawa — s’accumulent depuis plusieurs années sans que les responsables politiques japonais sachent donner de la voix pour faire entendre leurs points de vue car aucun d’eux n’a jamais eu de vision stratégique allant au-delà du cadre nippo-américain. Comme le rappelait récemment le professeur Murata Kôji, spécialiste des relations internationales, le Japon a besoin d’un leader qui soit en mesure d’en élaborer une et de réunir un consensus autour d’elle. Car il est évident que cela ne viendra pas des Etats-Unis même si Barack Obama est élu. Les rapports entre Tokyo et Washington ont défitivement changé. Dans la classe politique, on constate une évolution des mentalités. Même si les jeunes députés sont encore nombreux à faire des études aux Etats-Unis, ils sont néanmoins moins américanophiles que leurs aînés, y compris au sein du Parti libéral-démocrate. “Il se peut que l’envoûtement (jubaku) à l’égard des Etats-Unis soit en train de se rompre au Japon”, estime l’ancien diplomate Hirabayashi Hiroshi. Reste à savoir qui sera en mesure de porter un projet politique ambitieux au Japon. L’actuel Premier ministre Asô Tarô, qui utilise la diplomatie comme argument pour retarder la tenue d’élections anticipées, pourrait être tenté de relever le défi, mais compte tenu de l’instabilité politique dans l’Archipel, il est peu probable qu’il parvienne à réunir autour de lui le consensus nécessaire. Claude Leblanc Photo : |
|