“Les sentiments japonais à l’égard du passé ne peuvent être qu’ambigus dans la mesure où, à la différence de leurs homologues allemands, la plupart des hommes politiques nippons qui ont occupé le pouvoir après la guerre ne sont pas issus de mouvements de résistance contre le régime militaire”. Ce constat dressé par l’écrivain Ian Buruma permet en grande partie d’expliquer pourquoi le Japon a tant de mal à faire face à son passé militaire.
Au cours des vingt-cinq dernières années, les dirigeants japonais ont ainsi beaucoup “joué” sur le vocabulaire pour qualifier la guerre sino-japonaise. Le 26 juillet 1982, le ministère de l’Education nationale avait ainsi
fait remplacer dans les manuels scolaires le terme “invasion” (de la Chine) jusque-là utilisé par le mot plus neutre “avancée”. Ce changement avait eu pour conséquence de déclencher en Chine une série de manifestations anti-japonaises. Cela n’avait pas empêché les responsables politiques japonais de poursuivre leur “jeu” avec l’histoire. En mai 1986, les manuels scolaires n’ont plus fait référence
à la responsabilité japonaise dans le massacre de Nankin. Quatre ans plus tard, l’écrivain Ishihara Shintarô, futur gouverneur de Tokyo, affirmait que Nankin “est une histoire inventée de toutes pièces par les Chinois” tandis que le ministre de la Justice Nagano Shigeto assurait en 1994 que le massacre est une “invention”. Le refus du Japon de reconnaître la réalité de ce qui s’est passé à Nankin dans les premiers jours de décembre 1937 illustre parfaitement les difficultés que le pays rencontre à s’assumer au niveau international.
A l’inverse, les autorités chinoises ont su profiter de l’entêtement nippon pour stigmatiser “le nationalisme et le militarisme” japonais quand cela les arrangeait. Dès lors, les tentatives de certains politiciens
japonais de rétablir la vérité se sont souvent soldées par des échecs, car en fin de compte, les acteurs de ce drame historique se complaisent dans ce brouillard historique. Les Chinois utilisent les tergiversations
nippones pour faire pression sur le Japon quand ils en ont besoin et les Japonais, en particulier la classe politique, continuent de cultiver l’idée selon laquelle le Japon serait aussi victime de la guerre. C’est le sens de la campagne menée depuis une dizaine d’années par des révisionnistes qui ont désormais pignon sur rue. Dans des magazines, dans certains journaux et dans des ouvrages aussi inattendus que des manga, ils tentent d’imposer leur point de vue sur la guerre en Chine et le massacre de Nankin. La mémoire est ainsi prise en otage par des individus qui empêchent les deux pays de normaliser leurs relations comme la France et l’Allemagne ont pu y parvenir au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il n’est donc pas étonnant que Chinois et Japonais se livrent encore aujourd’hui une guerre des images. Après le succès du manga révisionniste de Kobayashi Yoshinari, les Chinois ont répliqué par la publication de Lun Riben (Du Japon, éd. Dazhong Wenyi) qui s’est vendu à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires. L’objectif était d’utiliser la bande dessinée pour montrer que les soldats japonais auraient massacré quelque 300 000 personnes à Nankin. Avec le développement d’Internet, la guerre des images n’est pas prête de s’arrêter tant qu’on ne laissera pas les historiens faire leur travail.
Claude Leblanc
Un soldat japonais s’apprête à décapiter un prisionnier chinois. Photo prise
en décembre 1937 après l’entrée de l’armée impériale à Nankin.
A LIRE
Les éditions Denoêl font paraître un excellent ouvrage de Michaël Prazan intitulé Le Massacre de Nankin
1937 : Entre mémoire, oubli et négation (20€). L’auteur y présente
de façon précise avec
des témoignages le déroulement des événements avant
de s’interroger sur la façon dont ce drame a été utilisé en Chine et
au Japon pour favoriser des intérêts politiques.
Entretien : KASAHARA TOKUSHI, HISTORIEN, PROFESSEUR À l’UNIVERSITÉ DE TSURUBUNKA
La question du massacre de Nankin suscite toujours des tensions entre le Japon
et la Chine. Comment expliquez-vous que 70 ans après les événements,
il est encore si difficile d’aborder ce sujet dans l’Archipel
K.
T. : Le massacre de Nankin est devenu un des événements caractéristiques de la guerre d’agression menée par le Japon en Chine.
C’est un acte historique que les Chinois qui l’ont vécu comme une humiliation ne peuvent pas oublier. Après la guerre, le gouvernement japonais dominé par le Parti libéral-démocrate (PLD) s’est constitué autour de bureaucrates, de militaires et d’acteurs économiques d’avant-guerre et actuellement, ce sont les descendants de ces personnalités qui sont au cœur du système politique nippon. C’est la raison pour laquelle les dirigeants japonais n’ont jamais voulu reconnaître que le conflit sino-japonais avait été une guerre d’agression. Et même si la majeure partie de la population japonaise estime que le Japon a mené une guerre d’invasion en Chine, ceux qui en sont les instigateurs ont toujours fui leurs responsabilités. Grâce au contrôle que leurs descendants exercent sur les journaux et la télévision, il a été quasi impossible de rendre compte de cette guerre d’invasion dans les médias. Par ailleurs, le renforcement du contrôle des manuels scolaires par le ministère de l’Education nationale n’a pas permis d’inclure ces faits dans les ouvrages destinés aux élèves.
Différentes interprétations selon lesquelles la guerre sino-japonaise aurait été un moyen de préserver la Chine de l’influence soviétique, qu’elle aurait permis de soustraire la Chine de l’invasion occidentale, qu’elle aurait favorisé la constitution de la Sphère de co-prospérité de la grande Asie orientale (Daitô-a Kyôeiken) ou encore qu’il s’agissait d’un conflit d’autoprotection ont circulé. On a ainsi cherché à idéaliser la guerre menée par le Japon. D’après eux, une reconnaissance du massacre de Nankin par la population revenait à reconnaître la guerre sino-japonaise comme une guerre d’invasion. Voilà pourquoi ils ont tout fait pour nier la réalité des événements qui se sont déroulés à Nankin. Et si 70 ans après les faits, une partie de l’opinion japonaise ne reconnaît toujours pas ce qui s’est passé dans l’ancienne capitale chinoise, la responsabilité en incombe au gouvernement qui a tout fait pour l’effacer de la mémoire de la population.
Quel est votre sentiment face aux différentes initiatives
révisionnistes qui ont été prises ces dernières années ?
K.
T. : Lorsqu’au début des années 1990, le PLD qui avait dominé la vie politique au Japon a perdu le pouvoir au profit d’une coalition dont il était exclu, les gouvernements Hosokawa et Hata ont reconnu la guerre d’agression menée par le Japon et ont exprimé leurs regrets aux pays asiatiques concernés. En 1994, une nouvelle coalition, celle-ci organisée autour du PLD et du Parti socialiste, arrive aux affaires.
L’année suivante, le socialiste Murayama, qui dirigeait alors le gouvernement, a proposé que la Diète profite du cinquantième anniversaire de la fin du second conflit mondial pour voter une résolution concernant le colonialisme et la guerre d’invasion du Japon afin de “boucler les comptes du passé”. Mais le PLD ne l’entendait pas de cette oreille et a tout fait pour saboter cette résolution. Les plus opposés à cette résolution ont mis sur pied la Conférence japonaise (Nippon kaigi), laquelle avait le soutien de la majorité des députés libéraux-démocrates. Les tenants de ce révisionnisme historique au cœur de la Conférence japonaise ont créé en décembre 1996 la Société pour l’élaboration de nouveaux manuels scolaires (atarashii rekishikyôkasho o tsukuru kai) dont le but était de rédiger des manuels qui nieraient l’existence des femmes de réconfort (ianfu), ces femmes forcées à se prostituer pendant la guerre, et du massacre de Nankin. Ils sont parvenus à leurs fins en 2001 avec la parution de leur premier opus.
Ces révisionnistes ont obtenu le soutien du célèbre dessinateur Kobayashi Yoshinori qui a fait paraître en 1998 Sensôron [De la guerre, ed. Gentôsha]. Ce manga qui niait la réalité du massacre de Nankin s’est vendu à plus de 650 000 exemplaires !
La jeunesse japonaise est-elle assez sensibilisée
à ces questions historiques ?
K.
T. : Malheureusement, la jeunesse japonaise est bien peu consciente de ces questions. Cela peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Tout d’abord, le contrôle de l’Etat sur l’enseignement contribue à affaiblir le rôle des organisations susceptibles de défendre un regard honnête sur l’histoire et à empêcher l’enseignement de ce qui s’est passé pendant la guerre. Par ailleurs, les changements opérés dans les structures universitaires — publiques et privées — ont grandement compromis la liberté d’enseignement dans les universités du pays. Le contrôle s’est renforcé et a contribué à installer “le silence des historiens” (rekishika no chinmoku). Le rôle des médias est également contestable. Le “quatrième pouvoir” a favorisé la diffusion des idées révisionnistes. Il y a aussi cette tendance à l’autocensure quand il s’agit des questions liées à l’histoire. Celle-ci se justifie par l’activité d’organisations d’extrême-droite. Elles n’hésitent pas à menacer les éditeurs et tous ceux qui osent aborder la question du massacre de Nankin et des femmes de réconfort. Dès lors, si l’on veut que les jeunes s’intéressent à toutes ces questions, il faut faire en sorte de supprimer tous les obsatcles à la diffusion de la vérité historique.
Propos
recueillis par Claude Leblanc
笠原十九司・都留文科大学教授
〈南京大虐殺〉についてインタビュー
南京大虐殺は日本の中国侵略戦争の象徴的事件となっている。特に中国にとって、当時中国国民党政府の首都、南京において軍事占領を行った日本軍による大虐殺事件として、国家・民族にとっての屈辱(中国人のいう国恥)として忘れることのできない歴史的事件となった。
一方、戦後日本の自民党政府は、戦前の官僚・軍人・財界人等がそのまま残留しつづけた側面が強く、現在は彼らの息子や孫たちが受け継いで権力の中枢を占めている。そのため戦後の自民党政府と官僚・財界は日中戦争が侵略戦争であったことを認めようとしない。もしも日本国民全体が日中戦争が侵略戦争であったことを認識し、戦争指導者たちの戦争責任を追及するようになれば、彼らは現在のように権力の中枢に居座ることはできないからである。
彼ら戦争責任者とその末裔はテレビ、新聞等のマスメディアを統制する力を持っていて、日本のマスメディアに戦略戦争の歴史を報道させないようにしている。また文科省も教科書検定を強めて侵略・加害の歴史を教科書に記述させないようにしている。一方では、日中戦争はソ連の中国赤化政策から守るための戦争
であったとか、欧米の侵略から中国を守るための戦争であったとか、大東亜共栄圏を確立するための戦争であったとか、自存自衛のための戦争であったとか、日本の戦争を肯定、美化する言説を盛んに流布している。彼らにとって、南京大虐殺の歴史事実を国民が認識するようになれば、日中戦争が加害・侵略の戦争で
あったことを認識することになるので、それを阻止するために南京大虐殺の歴史事実を否定する言説を意図的に流布させているのである。
南京大虐殺の事実を事件後70年もたった現在でも国民の多くが認識していないのは、政府が事実を国民の記憶から忘却させようとしているからである。
質問:近年、修正主義者たちが様々な分野で進めている活動をどう思われますか?
日本では1990年代前半、戦後一貫して続いた自民党単独政権が崩壊したことがあり、非自民党連立内閣が成立したことがあった。非自民党の細川内閣、羽田内閣は日本の戦争を侵略戦争と認め、被害アジア諸国に謝罪する意志を表明した。1994年に成立した社会党と自民党の連立内閣であった村山内閣は、1995年の戦後50年を機会に国会で侵略戦争、植民地支配の反省と謝罪の国会決議を行ない、「過去の清算」に一つの区切りをつけようとした。
しかし、村山内閣の与党であった自民党が、同国会決議は戦死した日本の兵士を「冒涜」し、彼らの死を「犬死」に、つまり「無駄死」であったと断定するもので、彼らの名誉を傷つけるものであると宣伝して、地方の自民党組織を総動員して反対運動を展開した。
この時、自民党と連携して民衆に国会決議反対を呼びかけ、草の根保守主義の大動員に成功したのが右翼勢力で、彼らは1997年に「日本会議」という日本最大の右翼組織を結成した。「日本会議」は自民党国会議員の過半数を支持メンバーに獲得した。「日本会議」につながる歴史修正主義勢力は、1997年に
「新しい歴史教科書をつくる会(つくる会)」を結成し、南京大虐殺や「日本軍慰安婦(日本軍奴隷)」を否定する教科書の発行を計画し、2001年に発行し
た。この時「つくる会」の理事となり、広告塔の役割をはたしたのが、漫画家の小林よしのりで、『戦争論』という南京大虐殺を否定する漫画本を出版、65万
部が売れた大ベストセラーとなった。
質問:日本の若者は、こうした歴史上の問題をどの程度感じとっていますか?
残念ながら、日本の若者たちの歴史認識問題は貧困な状況にあります。原因はいろいろありますが、一つは日本の学校教育が文部科学省→各県教育委員会→各
市町村教育委員会という国家の統制l管理が徹底しており、さらに教員組合の組織と活動も弱体化しており、学校教育において近現代歴史、特に戦争の歴史をき
ちんと教えられない状況にある。
一つは、日本の国立大学、公立大学が法人化され、かつての大学の自治、大学における学問の自由は大きく損われ、文部科学省の統制が大学にも及ぶように
なった。学問的業績主義に走る大学教員が多くなり、歴史研究者も歴史問題で発言しないようになり、侵略・加害の歴史認識問題に対する「歴史家の沈黙」とい
う深刻な状況にある。
一つは、日本のメディアが「第四の権力」という歴史と自覚がなく、商業主義に走り、テレビ・新聞・映画などのマスメディアが歴史修正主義的な歴史認識を流布させる一方、それに対抗して歴史事実を認識させようというメディアは少数である。
さらに日本は、言論の自由を暴力的行為で抑圧する右翼勢力が温存され、活動が放任されているため、南京大虐殺や日本軍「慰安婦」の事実を報道、出版する
ことに対して脅迫まがいの圧力が加えられるため、マスメディア界では自主規制して、こうした歴史問題を回避する傾向がある。
日本の若者に関心を持ってもらうためには、上記の阻害要因を変革していく以外に方法はないのである。