Chaque saison a ses habitudes culinaires. L’automne japonais relègue à l’arrière-plan jusqu’à l’été suivant les soupes de nouilles froides, les glaces pilées au sirop et les pastèques, et laisse place aux marrons, aux samma, aux champignons, aux patates douces et aux kakis. Je n’avais jamais mangé de kaki avant de venir au Japon. C’est qu’en France je faisais plutôt dans la pomme, la poire ou le raisin. La généralisation des fruits exotiques avait certes déjà fait son bout de chemin, et ananas, kiwis ou autres mangues s’étaient répandus jusque dans les yaourts. Mais, à croire que le dépaysement gastronomique ne m’était pas une priorité, je ne poussais l’aventure gustative qu’à de rares mais appréciables yaourts à la banane. Depuis, nouvel environnement, nouvelle culture, nouvelles envies obligent, j’ai eu de très bonnes dispositions à diversifier les formes et les couleurs du contenu de ma corbeille à fruits. C’était sans compter le prix exorbitant de la plupart de ces derniers. Dans l’Archipel, les fruits sont souvent considérés comme un produit de luxe. La tradition se réserve même les meilleurs spécimens en dictant aux Japonais d’en faire cadeau à l’occasion de la fête bouddhique des morts (obon) à la mi-juillet. Ça s’appelle chûgen et ça peut parfois revenir à plus de 10 000 yens (75 €). Bien plus abordable, le prix du kaki tourne autour des 100 yens (0,75 €) l’unité. Peut-être pas aussi enchanteur qu’un fruit de la passion, il a néanmoins le mérite de pouvoir pousser chez monsieur tout le monde. Les arbres qui lui donnent vie, comme par fierté de ces grosses boules oranges, avancent quelques fois leurs branches au dessus du mur du jardin, et celui qui passe par là le ventre vide a toutes les chances d’entendre son estomac crier famine : gu~.
Pierre Ferragut