Il est aujourd’hui peu d’historiens du cinéma qui peuvent se permettre d’embrasser la (quasi) totalité de la production nippone, sans tomber dans le partiel ou le parti-pris excessivement subjectif. Donald Richie est certainement le premier de ceux-là, et, comme le dit très joliment Paul Schrader dans sa préface, il est sans doute le “Commodore Perry de l’histoire cinématographique nippone”. Ayant débarqué en 1947 au Japon, il y réside toujours. Une longue histoire d’amour donc… Après son Ozu paru en français en 1980 (éd. Lettre du Blanc, Genève) nous parvient enfin la traduction française de son ouvrage de référence, Le Cinéma Japonais. Il ne s’agit pas ici de son fameux livre Japanese film, Art and industry, co-écrit par Joseph L. Anderson, paru en 1959 et réédité en 1982. Il s’agit d’un ouvrage plus récent, A hundred years of Japanese Film, publié en 2000, et mis à jour en 2004. C’est donc à une histoire relativement “condensée” que nous avons à faire, mais qui embrasse néanmoins tout le spectre du cinéma japonais, des tout-débuts aux plus récents films de Kitano Takeshi, Kurosawa Kiyoshi, ou Kore-Eda Hirokazu. Ce faisant, l’auteur ne se borne pas à étaler sa connaissance du cinéma nippon, mais il s’efforce de l’équilibrer par une vision “occidentale” à l’intérieur du corps étudié. Il essaie aussi de tenir compte de l’importance relativisée de la traduction culturelle nippone face à une occidentalisation plus ou moins bien digérée. “Le poids, énorme quoiqu’en rapide diminution, de la tradition éclaire certes la culture nippone, mais on peut en dire autant de la masse de tous les additifs importés. Equilibrer tout cela, sans succomber à la théorie du Volksgeist d’une part, ni, de l’autre, souscrire entièrement aux effets de l’influence étrangère, voici la tâche qui incombe à l’historien du cinéma japonais”, écrit-il entre autres dans son introduction d’intentions. S’ensuit une étude fouillée et modérément subjective (question de génération…) de tous les aspects, historiques, esthétiques et bien sûr, économiques (un aspect souvent ignoré par nombre de critiques récents, tout à leur fascination aveugle du “film d’auteur” tout-puissant) d’un des cinémas les plus riches et les plus variés du monde, sans oublier évidemment les cinémas de genre, longtemps méprisés ou ignorés par les critiques occidentaux, avant de reprendre une place parfois excessive sur le devant de la scène, notamment en DVD. Donald Richie termine son étude par un long chapitre consacré aux “nouveaux indépendants” (dès le début des années 1980), cinéastes et producteurs, avec une affection particulière pour certains d’entre eux, comme Itami Jûzô, Ichikawa Jun, Yanagimachi Mitsuo, ou Kore-Eda Hirokazu, parmi les très nombreux auteurs qui ont les faveurs des festivals et des critiques occidentaux, et parfois même du public. L’ouvrage, imposant, mais de lecture agréable et sans aucune pédanterie, se termine par un “guide sélectif” des vidéos et DVD (avec leurs sources japonaises), un glossaire, une bibliographie (essentiellement axée sur les ouvrages japonais et anglo-saxons, à de rares exceptions près), et deux index (noms propres et titres de films). Le Cinéma japonais, dédié à la mémoire de feu Mme Kawakita Kashiko, la grande Dame du cinéma japonais passé, est un beau livre de plus de 400 pages, à lire, à consulter fréquemment, un acte d’amour par un pionnier américain originaire de l’Ohio, qui a su aller bien au-delà des barrières linguistiques et culturels du Japon, jusqu’à en devenir un des personnages les plus actifs. Max Tessier |
Le Cinéma japonais, Donald Richie, traduit de l’anglais par Romain Slocombe, Editions du Rocher, Monaco, 2005, 35e. |
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