Ô temps, suspend ton vol !”, écrivait Lamartine dans un de ses poèmes les plus fameux. Tsuji Hitonari a, semble-t-il, été marqué par cet appel puisque dans son dernier roman paru en France, En attendant le soleil (taiyô machi), il a décidé de jouer avec le temps et de transporter le lecteur dans divers espace temps. Tout commence avec l’attente, celle d’un cinéaste Inoue Hajime, 80 ans, grande figure du cinéma japonais qui attend et qui oblige son équipe et le lecteur à attendre le soleil, pas l’astre en tant que tel, mais une certaine lumière qu’il avait rencontrée une fois en 1937 alors qu’il participait au tournage d’un film à Nankin lors de la prise de la ville par les troupes japonaises. Cette lumière si particulière à laquelle se raccroche le metteur en scène reste son dernier lien avec le présent. Lui, qui revit en boucle sa seule histoire d’amour avec une actrice chinoise de l’époque, a besoin de retrouver ce soleil de 1937 qui, d’une certaine façon, mettra un terme à sa vie. Dans cette quête qui se traduit par une attente prolongée, d’autres personnages font leur apparition parmi lesquels Shirô, “salisseur” de son état, c’est-à-dire peintre chargé des décors du film, Jirô, son frère hospitalisé après avoir avoir été grièvement blessé lors d’un règlement de compte, Tomoko, l’ancienne petite amie de Jirô, Fujisawa, un mafieux à la recherche d’un cartable qu’il aurait confié à Jirô ou encore Craig Bouchard, père américain de Fujisawa mort lors du bombardement atomique de Hiroshima. L’auteur profite de l’attente d’Inoue pour raconter leur histoire. Au fil des pages, on découvre que leurs destins s’entrecroisent et que chacun de ces individus vit avec le poids du passé qui l’empêche à un moment donné de se projeter en avant. C’est d’ailleurs l’un des grandes forces de ce roman. Comme il nous l’avait déjà prouvé dans Le Bouddha blanc, paru en 1999 au Mercure de France, Tsuji Hitonari maîtrise parfaitement son écriture et le fil de son histoire malgré sa complexité. Car après la simplicité du début qui illustre parfaitement l’attente du cinéaste et de toute son équipe, le romancier nous transporte dans une autre dimension bien plus difficile à appréhender. Il nous dresse le portrait du Japon contemporain qui doit faire face à toutes ses ambiguités. On sait combien son passé guerrier a pesé sur la conscience collective des Japonais au cours des cinquante dernières années. Tsuji Hitonari, qui appartient à la génération qui n’a pas directement connu les affres de la guerre, témoigne cependant de l’importance que celle-ci a eu sur le développement du Japon. En essayant de retrouver son “soleil”, Inoue, témoin direct de l’entrée des troupes nippones dans la ville de Nankin, qui reste un des symboles de la sauvagerie japonaise en Chine, impose à chacun des autres personnages du livre la nécessité de regarder vers le passé et d’en tirer les leçons pour l’avenir. Jusqu’à la dernière page du roman, le lecteur est tenu en haleine par cette recherche indivuelle et commune en même temps. Tsuji Hitonari sait fort bien que le lecteur le suivra jusqu’à l’ultime ligne tant son récit est construit avec finesse. Il a réussi à nous transporter dans la même dimension temporelle que ses personnages. Et lorsque Inoue, qui a finalement pu retrouver sa lumière (la réponse à tous ses maux passés), annonce “un nouveau siècle en perspective” ; lorsque le soleil et ses rayons finissent par “envelopper la terre avec une tendresse perceptible”, on se dit que cela valait vraiment la peine d’attendre et que la patience est certes amère, mais que son fruit est doux. Claude Leblanc |
En attendant le soleil |
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