L’accident de la navette Columbia, le 1er février dernier, a vivement été ressenti par les Japonais. Au-delà de l’événement tragique que représente la mort des 7 astronautes présents dans l’appareil au moment de sa désintégration, les responsables de l’industrie spatiale nippone craignent que cet accident ne remette en cause le programme lié à la station orbitale internationale à laquelle le Japon est associé. Si les autorités nippones ont rapidement compris que leur astronaute, Noguchi Soichi, qui devait participer à un vol de la navette Atlantis en mars prochain verrait son voyage remis sine die, elles ont rapidement suggéré que Kibô, le Module expérimental japonais (JEM), qui doit être intégré à la station orbitale internationale pourrait être la victime indirecte des problèmes de la navette américaine. Un drame si l’on considère les ambitions du Japon dans le secteur spatial. Le succès du premier tir de la fusée H-II, en février 1994, avait marqué le point de départ de la conquête spatiale japonaise. Conçue entièrement à partir d’éléments fabriqués au Japon, la fusée H-II ne pouvait que susciter l’enthousiasme dans la mesure où les technologies utilisées par ses concepteurs, l’Agence pour le développement spatial (NASDA) ou encore Mitsubishi Heavy Industries, figuraient parmi les plus en pointe, mais elles avaient l’inconvénient -et c’est un euphémisme- d’en faire le lanceur le plus cher de la planète. La mise en chantier du programme H-IIA – version dérivée de la fusée H-II – devait répondre à la nécessité de rentabiliser un lanceur dont l’objectif affiché était de concurrencer sinon les Européens et les Américains, ou tout du moins les Chinois et les Russes dans la mise en orbite de satellites commerciaux, secteur en pleine expansion. Or les échecs qui ont suivi le premier tir réussi ont rapidement mis en péril l’avenir du programme spatial national. L’explosion, le 15 novembre 1999, du lanceur H-II, 80 secondes après son décollage du centre spatial de Tanegashima, au sud du pays, avait eu pour conséquence quasi immédiate d’amener ses responsables à suspendre définitivement le programme H-II et à repousser d’une année le lancement de la première fusée H-IIA. La mauvaise fortune du lanceur H-II reflète la complexité et les difficultés auxquelles doivent faire face les promoteurs du programme spatial japonais. Deux organismes s’en partagent la responsabilité : la NASDA chargée du matériel et l’ISAS (Institut d’études astronautiques et spatiales) davantage attaché à la recherche scientifique. Ces deux entités doivent se partager un budget peu important si on le compare à celui de la NASA. Cette faiblesse budgétaire, à laquelle on peut ajouter un manque important de personnel (environ un vingtième de la main-d’œuvre de l’agence américaine) laisse peu de place aux expérimentations, ce qui peut expliquer la décision brutale de ne pas poursuivre le programme H-II trop coûteux. Mais les problèmes rencontrés par les organismes publics ne se réduisent pas à des questions budgétaires et de main-d’œuvre, ils s’étendent aussi aux rapports tendus qu’ils entretiennent avec les industriels du secteur. L’échec de la fusée H-II a été aussi l’occasion d’illustrer le fossé grandissant qui existe entre le secteur public (NASDA et ISAS) et les entreprises chargées de construire le matériel utilisé. Conscients de cette difficulté, les pouvoirs publics ont mis sur pied, en juillet 1998, un audit pour déterminer les problèmes fondamentaux du programme spatial (Uchû kaihatsu kihon mondai kondankai), lequel a rendu un rapport en mai 1999 qui mettait l’accent sur l’importance des industriels dans le processus de recherche jusque-là réservé aux organismes publics. Le fait que les entreprises privées attirent de plus en plus les chercheurs issus des laboratoires publics ne facilite pas non plus la collaboration entre les différents protagonistes. «Nous sommes entrés dans l’ère de l’industrialisation et de la commercialisation de l’espace», expliquait Suzuki Toshio, le vice-président de Mitsubishi Electric, résumant l’intérêt des industriels à l’égard du programme spatial. Le patron de la NASDA montre un visage beaucoup plus académique en soulignant le travail accompli par le Japon dans la réalisation de la prochaine station orbitale internationale, notamment au travers de Kibô. Cette divergence d’approche peut également expliquer les ratés enregistrés au cours des dernières années. Néanmoins les projets des responsables nippons restent grands. L’implantation d’une base lunaire habitée à l’horizon 2030 est un des développements les plus ambitieux des Japonais. En attendant, ils travaillent à la réalisation de HOPE, version nippone de la navette spatiale. Reste à savoir si l’accident de Columbia ne contribuera pas à geler définitivement les envies spatiales d’un pays dont le nom évocateur – pays du Soleil levant – ne peut qu’inciter à regarder vers le ciel. Claude Leblanc |
Projet de la navette HOPE |