Suzuki Seijun, ou le “serpent de mer” du cinéma japonais est un cinéaste-culte au Japon depuis les années soixante, pilier du film de genre à la Nikkatsu. Devenu indépendant malgré lui après le long procès qui l’opposa à la Cie après 1967, il revient constamment au premier plan, ayant d’ailleurs tourné un nouveau film, Pistol Opéra, étrange séquelle à La marque du tueur (1967) à l’âge de 78 ans. “Découvert” tardivement en France grâce à quelques hommages dans les festivals, il connut enfin une distribution commerciale à la fin des années 1980, avec le troublant La barrière de chair (NIKUTAI NO MON, 1964), où il laissait déjà libre cours à son imagination baroque et à son sens de l’érotisme cru, bien avant la série des “Romans-pornos” de la même Nikkatsu. Suivirent en 1993 trois autres films distribués par Alive: La jeunesse de la bête (YAJU NO SEISHUN, 1963), La vie d’un tatoué (IREZUMI ICHIDAI, 1965), et surtout son chef-d’œuvre du cinéma ludique, parodie des films de yakuza-maison, Le vagabond de Tôkyô (TOKYO NAGAREMONO, 1966), dont la célèbre chanson-titre est encore reprise aujourd’hui. Cette connaissance partielle d’un des cinéastes japonais les plus personnels et excitants de la génération de la Nouvelle Vague, est aujourd’hui complétée grâce à l’initiative de Christophe Gans, grand fan de cinéma de genre asiatique, et cinéaste lui-même (Crying freeman, Le pacte des loups), par cinq autres films caractéristiques du style Suzuki: Détective bureau 2-3 (TANTEI JIMUSHO 2-3, 1963), Les fleurs et les vagues (HANA TO DOTO, 1964), et surtout trois films-clés de cette période Nikkatsu: Histoire d’une prostituée (SHUMPU DEN, 1965, d’après une œuvre de Tamura Tajiro, également auteur de La Barrière de chair), Elégie de la bagarre (KENKA EREJII, 1966), et le mythique La marque du tueur (KOROSHI NO RAKUIN, 1967), ce film absurde et dément qui scandalisa le président de la Nikkatsu, au point de renvoyer Suzuki, déclenchant ainsi une sorte d’affaire Langlois à la japonaise. Tous ces films témoignent, à divers degrés, du génie de la mise en scène de celui qui ne se considérait toutefois que comme un artisan du “goraku-eiga” (cinéma de divertissement). L’obsession de l’érotisme et de la violence d’une époque charnière du cinéma nippon, est transfigurée par une mise en scène vigoureuse et inventive, un traitement original du cinémascope, et surtout de la couleur utilisée de façon radicalement symbolique. La séquence finale anthologique de La vie d’un tatoué, les couleurs-types des filles de La barrière de chair, ou celle du cabaret fantastique du Vagabond de Tôkyô, sont autant de scènes inoubliables d’un cinéma jubilatoire, où “Seijun” donne libre cours à son imagination, et développe son thème de prédilection, à savoir l’énergie érotique d’une jeunesse inhibée, en cela proche des premiers films d’Oshima, ou d’Imamura (qui débuta peu après Suzuki à la Nikkatsu). A voir et à revoir, toutes affaires cessantes. A signaler aussi la sortie d’un film d’un autre “cinéaste-culte” (?) plus contemporain, Miike Takashi. Visitor Q (2001) est un catalogue assez pénible de toutes les humiliations sexuelles, familiales et incestueuses, imaginables qui se roulent avec délices dans l’auto-complaisance pratiquée comme un des beaux-arts. Mieux vaut aller revoir Audition. En revanche, ne manquez sous aucun prétexte la réédition de La vie de O-Haru, femme galante (SAIKAKU ICHIDAI ONNA), le chef d’œuvre incontournable de Mizoguchi Kenji (1952), avec la sublime Tanaka Kinuyo, qui ressort en copie neuve le 23 octobre également, au Reflets Médicis. Rien de tel qu’un bon classique pour digérer les excès du “jeune” cinéma japonais! Sore ja, mata. Max Tessier |
![]() La vie d’un tatoué (1965)
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