Interrogées par le Yomiuri Shimbun, une grande majorité des personnes utilisant Internet, plaçaient au premier rang la recherche d’information, qu’elle soit généraliste ou thématique. Et 12,8 % d’entre elles exprimaient le désir de créer leur propre site pour diffuser de l’information. Avec 18,3 millions d’usagers du Net en 1999, soit 28 % de plus que l’année précédente, le réseau des réseaux apparaît comme un défi important pour les vecteurs traditionnels d’information, au même titre que le développement de la télévision numérique constitue une évolution radicale pour les chaînes du réseau hertzien. Comme dans d’autres domaines traditionnels, le secteur des médias se trouve confronté à l’émergence de nouveaux outils qui bouleversent totalement les règles établies jusqu’à présent et placent les acteurs – éditeurs, journalistes, patrons de chaînes – dans une situation guère confortable.
L’un des principaux sujets de tourment, c’est l’érosion lente et continue des ventes de journaux. Le système de portage à domicile permet certes de s’assurer une base de lecteurs que bon nombre de confrères dans le monde regardent avec envie, mais les journaux enregistrent une baisse de leur audience. La concurrence de la télévision et des nouveaux médias ainsi que le vieillissement de la population expliquent cette tendance face à laquelle les entreprises de presse semblent bien impuissantes. Les jeunes lisent de moins en moins la presse, préférant s’informer au travers des journaux télévisés ou d’autres supports. La progression fulgurante d’Internet dans l’Archipel interpelle non seulement les groupes de presse qui doivent trouver des réponses économiques à ce concurrent mais également les journalistes qui voient ainsi leur rôle parfois remis en cause par de nouveaux diffuseurs.
Dans des publications alternatives comme Masukomi Shimin (Citoyen des médias), les attaques pleuvent contre une presse trop proche du pouvoir et des intérêts économiques. Dans sa livraison de novembre 1999, le mensuel dénonçait notamment l’attitude des journaux au moment de l’adoption des nouveaux accords de coopération militaire nippo-américaine ou de la question sensible du drapeau et de l’hymne national. Jugés anticonstitutionnels par de nombreuses personnes, ces textes n’ont pas fait l’objet d’un débat critique dans la presse à quelques exceptions près. Il va sans dire que ce type de jugement est peut-être exagéré, mais, au sein des rédactions, le débat fait rage autour de la mission des journaux aujourd’hui. «Au moment où le pays affronte sa plus grande crise économique à laquelle les politiques ne peuvent pas apporter de solutions, où les bureaucrates ont perdu leur capacité de gestion et où le monde de la finance est en panne de leaders, n’est-ce pas au tour des journaux de prendre le relais ?», s’interrogeait l’un des éditorialistes du principal quotidien japonais, Yomiuri Shimbun, en 1998. Le journal conservateur, qui multiplie depuis des années des prises de position sur des sujets importants, allant même jusqu’à publier des projets de loi, montre à quel point la presse cherche à reprendre contact avec un lectorat potentiellement important mais fatigué d’une information sans relief. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas un journalisme d’investigation dans la presse traditionnelle. L’hebdomadaire Shûkan Kinyôbi, fondé en 1993, prouve que l’engagement de la presse sur des questions importantes (Constitution, environnnement, histoire, etc.) est payant. Le succès et la polémique autour de sa rubrique Kattewa ikenai (N’achetez pas) dans laquelle un produit jugé dangereux ou impropre à la consommation fait l’objet d’une critique sévère, en témoignent.
D’ailleurs, la définition d’un code de conduite de la presse est un des sujets autour duquel les débats n’ont pas manqué au cours de l’année écoulée. Certains dérapages, notamment au niveau du non-respect de la vie privée, ont amené les responsables de groupes de presse ainsi que les dirigeants politiques à réfléchir à la mise sur pied d’une réglementation en la matière. Au cours de l’été 1999, le Parti libéral démocrate a publié un rapport dans lequel il envisageait la création d’un organisme chargé de surveiller les éventuelles dérives et d’engager des poursuites en cas de récidive. Si la réalisation de ce projet paraît improbable, il est évident que l’on assiste actuellement à de nombreuses manœuvres d’intimidation autour des médias, ce qui ne manque pas d’inquiéter les défenseurs de la liberté d’expression. On se rappelle qu’il y a quelques années l’écrivain Tsutsui Yasutaka avait annoncé avec retentissement sa décision de faire la grève de la plume pour dénoncer les entraves à la liberté d’expression au pays du Soleil levant. Il est depuis revenu sur sa décision mais elle est symptomatique des problèmes rencontrés à ce sujet au Japon. Il est intéressant de noter la réflexion d’un journaliste chinois selon laquelle «La liberté de parole n’existe pas en Chine. On dit qu’elle existe au Japon, mais à vrai dire je crois qu’il y en a plus en Chine».