Terajima Shinobu récompensée à Berlin pour sa remarquable interprétation de Shigeko
Wakamatsu Kôji a toujours eu le mérite de s’intéresser à des sujets que la société japonaise bien pensante ne veut pas entendre tant qu’ils n’ont pas été filtrés des éléments qui pourraient remettre en cause son bon fonctionnement. Le réalisateur est le “clou qui dépasse”, le poil à gratter d’une conscience collective qui refuse de regarder en face son passé. Comme il l’avait fait de façon magistrale (n’ayons pas peur des mots) avec son docu-fiction United Red Army, Wakamatsu revient jeter un nouveau pavé dans la mare avec Le Soldat dieu. Cette fois, il ne parle plus des étudiants de la fin des années 1960 qui ont basculé dans la violence, mais de leurs parents, c’est-à-dire la génération qui a participé à la Seconde Guerre mondiale et en a finalement payé cruellement le prix. Il ne fait aucune concession, il montre dès le générique de début la brutalité des Japonais qui se sont lancés dans l’invasion de la Chine. Le Japon est au faîte de sa gloire, mais celle-ci ne peut qu’être éphémère. L’engagement pour l’empereur ne peut que s’achever par la souffrance, celle d’abord des victimes de l’agression nippone et celle de ceux qui sont restés dans l’archipel à attendre le retour des héros. Et lorsque le héros revient couvert de médailles, il ne reste pas grand chose de lui. C’est le cas du lieutenant Kurokawa (Ônishi Shima) parti combattre et commettre des crimes soutenu par tout son village et rentré au pays sans bras ni jambes et un visage défiguré. C’est à sa femme Shigeko (Terajima Shinobu) que revient naturellement la charge de veiller sur ce qu’il reste de cet être qui n’a plus rien d’humain. Le face-à-face entre une femme agitée par des sentiments contradictoires et ce qui ressemble désormais à une chenille (le titre original Carterpillar signifie en anglais chenille) dénuée de toute humanité est terrible. Les deux acteurs donnent une force incroyable à leurs personnages. Terajima Shinobu est extraordinaire dans son rôle de femme de héros qui évolue au fur et à mesure de la guerre. Si elle accepte dans un premier temps de surmonter sa répulsion devant son mari mutilé, elle se révolte progressivement contre cette situation d’épouse modèle qui n’est plus adaptée à la réalité du pays en train de perdre la guerre qu’il a initiée. Utilisant des images d’archives rougies pour soutenir son propos, Wakamatsu ne fait pas dans la dentelle. On sent qu’il veut frapper fort, faire mal et réveiller les consciences endormies par la réussite économique de l’après-guerre alors que le travail de réflexion sur le conflit n’a jamais été vraiment entrepris. Cela donne un film dur, très dur qui met mal à l’aise. Mais ce malaise oblige le spectateur à s’impliquer et à se demander ce qu’il ferait en pareille situation. Qui peut le dire ? La seule chose dont on est certain, c’est que toutes les guerres sont moches et qu’il faut s’y opposer quelles que soient les justifications. Librement inspiré de La Chenille (Imomushi), nouvelle d’Edogawa Ranpo, Le Soldat dieu est, vous l’aurez compris, un film remarquable que l’on doit avant tout considérer comme un manifeste anti-guerre. Même si certains jugeront la réalisation un peu bâclée (le film a été réalisé avec très peu de moyens), ils ne pourront pas nier sa valeur historique. C’est aussi à cela que peut servir le cinéma. Cela fait plus de 50 ans que Wakamatsu Kôji nous en fait la démonstration.
Odaira Namihei