Cette année, le festival du film Voir l’Invisible à Saint Denis a fêté son 10ème anniversaire. A cette occasion, sur le thème Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, 70 films ont été projetés. Parmi ces films qui traitent de la dimension religieuse (ou non) dans notre vie, se trouvent Love Explosure (2008) et Suicide Club (2002) réalisés par Sono Sion. Ce dernier est la personne idéale pour évoquer ce thème. Ses films s’intéressent souvent aux jeunes qui vivent dans le christianisme et… dans le business des sectes, selon l’expression du cinéaste.
Pour quelle raison vous intéressez-vous au christianisme ?
Je ne suis pas chrétien, mais quand j’étais lycéen, j’ai envisagé sérieusement de le devenir. Disons que j’étais obsédé par la personne du Christ et que j’ai voulu m’inscrire à ce qu’on pourrait appeler de nos jours son fan club. Mais je me suis rendu compte que la chose n’était pas si simple : pour devenir chrétien, il faut être habité par une foi profonde. J’ai donc renoncé à cette idée, mais j’ai continué à lire des livres qui racontent la vie de Christ, comme d’autres ont lu la biographie de John Lennon. Pour moi, le Christ n’est pas une idole comme Smap (un groupe de chanteurs très populaire au Japon) mais un être qui m’a fourni toute une philosophie et une manière de penser.
Comment expliquez-vous la notion de religion chez les Japonais ?
On peut dire que chez les Japonais, “le bien et le mal” ou “le paradis ou l’enfer” existent, mais très vaguement. Les gens qui font de la religion le pôle absolu de leur vie sont rares : on croit rarement qu’on va en enfer quand on fait le mal. La croyance religieuse existe, mais elle est très floue. Si vous voulez, cette tendance paraît pourtant plus prononcée chez les Japonais. Au Japon, la religion ou la croyance ne sont pas liées à un culte, mais plutôt au sens moral. Et l’absence d’une religion puissante est une des raisons pour laquelle les sectes fleurissent au Japon. De nos jours, les relations familiales sont remises en cause et les enfants cherchent ailleurs pour les remplacer. Ils sont séduits par des sectes non pour leurs fondements religieux, mais pour retrouver une sorte de famille agrandie : ils ne cherchent pas forcément un dieu, mais ils cherchent l’affection familiale.
Pour quelle raison, votre film Love Explosure (240 min.) est-il si long ?
J’ai tenté de limiter sa longueur, mais il n’était pas possible de faire le film plus court. J’adore les romans de Dostoïevski qui entrent longuement dans tous les détails. Par exemple, dans Les Frères Karamazov, l’écrivain consacre beaucoup de pages à la description du père, avant de commencer à présenter les frères. Je me demandais pourquoi le cinéma devait se priver de ce procédé de narration. Au lieu de faire un film d’une heure et demie qui aurait ressemblé à un simple synopsis, j’ai voulu être au plus près de tous les détails.
Le choix des acteurs ?
Je refuse l’habitude des producteurs japonais qui privilégient surtout les célébrités. Je tiens à découvrir des jeunes talents. Dans la plupart des productions, les acteurs se rencontrent juste avant le tournage et c’est tout. En revanche, les acteurs qui ont joué dans Love Exposure ont répété dans un gymnase pour améliorer leur performance. Ils ont fait les répétitions de toutes les scènes, de la première jusqu’à la dernière.
Comment vous êtes-vous senti après avoir tourné ce film ?
J’étais très content et soulagé, car le tournage était vraiment dur. Nous avons fait un film de quatre heures avec un budget modique en seulement un mois et demi. De nombreux acteurs avaient du mal à arriver jusqu’à leur lit. Ils étaient tellement épuisés qu’ils s’endormaient derrière leur porte, avant même d’enlever leurs chaussures. Comme cette situation a duré pendant tout le long du tournage, j’étais exténué à la fois physiquement et mentalement. Mais je crois qu’un tournage doit être ainsi.
Propos recueillis par Sayaka Atlan Nakagawa