Même si les chiffres de consommation de saké sont en chute libre dans l’Archipel, les Japonais préférant d’autres alcools souvent venus d’ailleurs, il reste néanmoins un élément important de la culture japonaise dans la mesure où il y a dans cette boisson quelque chose de sacré. Pour s’en convaincre, il suffit de se rendre dans un des innombrables sanctuaires shinto du pays. Au cours de cérémonies et de rituels religieux, le saké est non seulement bu, mais aussi présenté en offrande ou répandu sur le sol. Lors des différentes fêtes (Nouvel an, fête des poupées, etc.) qui sont célébrées tout au long de l’année, le saké est tout d’abord offert pour accueillir les dieux, avant d’être consommé pendant le repas. Que l’on signe un contrat important ou que l’on devienne membre d’une famille de yakuza, le saké est là pour marquer l’événement. Dans le premier cas, on le boit dans une coupe spéciale qui va sacraliser l’engagement tandis que dans le second cas, le saké symbolise le lien du sang entre les différents membres du groupe. L’échange des coupes est particulièrement important. Et lorsqu’on fonde une famille, une vraie sans révolver ni tatouage, le saké est encore là au travers de l’échange des trois coupes (san-san kudo, 3 gorgées, 3 coupes) par les nouveaux mariés.
La bonne humeur est évidemment liée au saké. Cela prouve que, contrairement à ce que certains pourraient encore croire chez nous, les Japonais aiment s’amuser et profiter des bons moments. De nombreuses fêtes folkloriques (matsuri) finissent par des séances d’arrosage au saké tandis qu’à l’époque de la floraison des cerisiers, au printemps, familles, amis ou collègues de travail se retrouvent à célébrer la beauté de la nature en sirotant une bonne bouteille de saké. Dans les izakaya, ces bars-restaurants où l’on se rassemble entre amis ou collègues pour grignoter, le saké est de la partie. Bien que les clients réclament moins de ce breuvage, les patrons de ces établissements sont toujours fiers d’exposer leurs bouteilles de saké. Une manière de rappeler, notamment aux jeunes, que cette boisson est bien meilleure que la plupart des autres alcools à la mode. Ces mêmes jeunes devraient se souvenir que le jour de leurs 20 ans, qui marque le passage à l’âge adulte et l’obtention du droit de boire de l’alcool, ils boivent l’o-miki, le saké réservé aux dieux que l’on présente en offrande dans les sanctuaires. Mais au grand dam des producteurs japonais, cette boisson des dieux ne semble plus les impressionner. Heureusement, les Français semblent plus que jamais enclins à prendre leur relève.
Claude Leblanc