Le 12 février, Vancouver accueille les Jeux olympiques d’hiver. Même si à l’heure où nous écrivons ces lignes, la neige n’est pas encore au rendez-vous, les athlètes qui participeront à cet événement se préparent activement pour être prêts le jour J. Parmi eux, les Japonais espèrent bien pouvoir tirer leur épingle du jeu, en figurant parmi les meilleurs et en récoltant quelques médailles. Derrière cet optimisme affiché et malgré les qualités personnelles de nombreux sportifs nippons comme la patineuse sur piste courte Sakurai Biba ou encore l’ancienne championne du monde de patinage artistique Asada Mao, le sport japonais est plutôt morose.
Le second échec consécutif de la candidature de Tokyo pour l’organisation des Jeux olympiques d’été, en octobre 2009, au profit de Rio a été particulièrement mal vécu chez les sportifs japonais. Au-delà d’un chauvinisme contrarié, la déception des athlètes japonais s’explique par les conséquences que la décision du Comité international olympique aura sur leur vie de sportif. En effet, l’organisation des Jeux olympiques dans la capitale japonaise se serait traduite par la mise en place d’un programme de renforcement des infrastructures sportives et par des mesures favorables à la formation d’une nouvelle génération d’athlètes grâce auxquelles le Japon aurait pu espérer obtenir des résultats à la hauteur de ses ambitions. L’idée était de pouvoir réitérer ce qui avait été fait en 1964 lorsque Tokyo avait accueilli les Jeux olympiques. A l’époque, devant un public enthousiaste, les sportifs nippons avaient brillé. En invitant des entraîneurs étrangers et en favorisant la recherche dans le domaine du sport, les pouvoirs publics avaient dépensé plus de 2 milliards de yens (de l’époque) pour que leurs athlètes montent sur les marches du podium. Cet investissement important a porté ses fruits puisque le Japon a obtenu 29 médailles dont 16 en or. Il s’est ainsi classé au troisième rang derrière les Etats-Unis et l’Union soviétique. En 1964, le Japon est devenu le “Troisième grand” sur le plan sportif, en attendant de décrocher quelques années plus tard le même titre sur le plan économique. Les Jeux olympiques de 1964 avaient aussi marqué le grand retour de l’Archipel au plan international après la défaite de 1945. Ils lui avaient permis d’affirmer sa puissance à un moment clé de son histoire.
Aux yeux des promoteurs de la candidature de Tokyo pour l’organisation des Jeux de 2012 et 2016, cette manifestation aurait pu jouer un rôle similaire, en offrant l’occasion aux Japonais de briller à un moment où leur économie autrefois flamboyante bat de l’aile. En s’assurant du bon déroulement d’une compétition sportive de cette ampleur, les Japonais auraient pu démontrer que leur pays était encore en mesure de tenir son rang de grande puissance alors que de nombreux indicateurs montrent une très nette baisse de régime de l’économie japonaise. L’idée était de mettre l’accent sur l’écologie et de souligner la capacité des Japonais à innover dans ce secteur. En inaugurant la première ligne de train à grande vitesse (shinkansen) entre Tokyo et Osaka, en 1964, au moment où les yeux du monde étaient tournés vers la capitale de leur pays, les Japonais avaient ainsi fait la démonstration de leur poids dans le domaine industriel. Les résultats obtenus sur le plan sportif avaient permis d’enfoncer le clou.
Aujourd’hui, l’échec du projet Tokyo 2016 est ressenti comme une défaite par l’ensemble du monde sportif, car il s’est accompagné, dans les jours qui ont suivi l’annonce du choix de Rio, par des remises en cause des plans de promotion du sport dans l’Archipel. “Pourquoi est-il indispensable de soutenir le sport ?” a-t-on pu entendre ici et là. Il est vrai que les finances de l’Etat sont loin d’être à leur meilleur niveau pour reprendre une expression sportive et l’idée que l’on puisse dépenser de l’argent pour soutenir le sport de haut niveau ne semble désormais plus aussi prioritaire aux yeux de beaucoup de gens. Pourtant, à la différence de la plupart des grands pays, le Japon est très en retard dans ce domaine. Ce n’est qu’en septembre 2000 que le ministère de l’Education nationale a lancé un plan décennal de promotion du sport dont l’objectif était de permettre au pays de figurer dans les palmarès des grandes compétitions internationales. Un Centre national d’entraînement a notamment été créé et les efforts consentis ont été couronnés de succès lors des Jeux olympiques d’Athènes en 2004 et de Pékin en 2008. Mais voilà, 2010 marque la fin du plan initié en 2000. La question est de savoir s’il faut la poursuivre voire la renforcer. Et au pays du consensus, on ne peut pas dire que les Japonais partagent tous cette envie de perfection sportive. La plupart d’entre eux attendent plutôt que l’Etat investisse dans le domaine social et soutienne l’activité économique. Une vision à court terme qui oublie l’importance du sport pour le bien-être de tout un pays. Cela revient à confier l’avenir des sportifs aux seules entreprises. Celles-ci ont toujours joué un rôle essentiel, offrant les moyens aux meilleurs athlètes de s’entraîner. Tant que l’environnement économique était bon, elles pouvaient se substituer aux pouvoirs publics.
Mais avec la récession, elles disposent de moins de moyens et préfèrent consacrer leurs ressources à la production. Une attitude raisonnable, diront certains. Voilà pourquoi il est important de trouver de nouvelles formules qui permettront aux sportifs de continuer à bénéficier de conditions favorables à l’expression de leur talent. L’une des pistes explorées est de doter le pays d’un réseau de clubs sur le modèle de ce qui existe en Europe. Au Japon, la plupart des clubs sont liés à des structures scolaires ou des entreprises. En favorisant l’émergence de petits clubs locaux, les autorités japonaises espèrent généraliser la pratique du sport tout en assurant la détection de futurs champions. Toutefois, l’engagement de l’Etat reste primordial. La prestation des athlètes japonais pendant les Jeux de Vancouver sera peut-être déterminante pour l’avenir du sport de haut niveau dans l’Archipel. Tout le monde est conscient que la victoire est impérative pour ramener un peu d’optimisme dans un pays qui en a bien besoin.
Claude Leblanc
Photo : Sakurai Biba, patinage sur piste courte, est un des grands espoirs de médaille pour le Japon aux Jeux olympiques de Vancouver qui se déroulent du 12 au 28 février 2010.