Le récent séisme en Haïti qui a fait plus de 110 000 morts est venu rappeler aux Japonais qu’eux-mêmes vivent dans un pays où les risques sismiques sont conséquents. Trois jours après le tremblement de terre qui a dévasté Port-au-Prince et sa région, le Japon s’est souvenu de la secousse qui détruit en grande partie Kobe, il y a 15 ans, le 17 janvier 1995. Consciente de l’impermanence des choses, la population nippone a, depuis des siècles, saisi la valeur de la vie dans la mesure où celle-ci peut du jour au lendemain s’arrêter.
Il semblerait pourtant que la menace de la nature ne suffise pas. C’est du moins le sentiment du mangaka Mase Motorô qui a imaginé la nécessité pour le Japon de se doter d’une loi pour la prospérité nationale. Dès l’âge de 6 ans, les Japonais sont tous vaccinés, mais un vaccin sur mille contient une micro-capsule qui provoquera la mort du porteur entre l’âge de 18 et 24 ans. En plaçant cette épée de Damoclès au-dessus de toute la population, les autorités veulent instaurer la stabilité et amener chaque citoyen à respecter la vie. Chaque individu qui va mourir est prévenu 24 heures avant son décès par la remise d’un préavis (ikigami) délivré par un fonctionnaire.
Fujimoto Kengo est ce fonctionnaire dans le manga Ikigami (série en cours dont le tome 5 vient de paraître en France) et le film qui en a été tiré, tous les deux diffusés par Kaze. Il a la mission difficile d’avertir celle ou celui qui va mourir pour le bien national. Son travail est d’autant plus compliqué qu’il doit faire face à des situations personnelles complexes. Même s’il n’est qu’une courroie de transmission, Fujimoto finit par se poser des questions et remettre en cause la loi elle-même. Dans l’adaptation cinématographique du manga signée Takimoto Tomoyuki, les interrogations du jeune homme incarné par Matsuda Shôta sont présentes mais elles occupent une place secondaire. Le réalisateur a préféré s’attarder sur le destin de ceux qui vont perdre la vie, laissant au spectateur le soin de prendre position par rapport à la loi.
L’intérêt d’Ikigami repose donc sur les portraits de ceux qui vont mourir. On retiendra notamment la prestation de Yamada Takayuki et Kanai Yûta qui apportent beaucoup et donnent une vraie dimension dramatique à ce long métrage auquel on reprochera de rester trop coller à l’œuvre originale. Depuis quelques années, les manga sont devenus une des principales sources pour les producteurs et les scénaristes qui imaginent sans doute que le découpage “cinématographique” de ces bandes dessinées ne les oblige pas à avoir un travail d’écriture. Dommage, car cela aurait permis de mettre davantage l’accent sur Fujimoto Kengo en tant que conscience agissante dans une société qui accepte les yeux fermés l’idée d’être régie par une loi somme toute inique.
Claude Leblanc
Photo : Le fonctionnaire Fujimoto (Matsuda Shôta) présente le préavis de mort
Ikigami, de Takimoto Tomoyuki, Kaze, 19,99€
Ikigami, de Mase Motorô, trad. de Jacques Lalloz, Kaze, 7,95€