Je me souviendrai toujours de cette remarque d’un proche cinéphile lorsque je lui ai annoncé que je partais m’installer au Japon, il y a plus de 20 ans de cela. “Mais qu’est-ce que tu vas faire dans ce pays où il pleut tout le temps ? Dans les films d’Ozu ou de Mizoguchi, et même dans ceux de Kurosawa, il pleut dans chaque scène”, m’avait-il dit.
“Avril, ne te découvre pas d’un fil ; mai, fait ce qu’il te plaît”. La sagesse populaire au Japon a dû rajouter un troisième commandement météorologique à notre fameux dicton, pour cause de saison des pluies annuelle : “Juin… n’oublie pas ton pépin !”
Et pourtant, ça s’oublie si facilement un parapluie, c’est même l’objet le plus souvent oublié dans tout Tokyo. La préfecture de police a recensé en 2008 plus de 378 000 OPNI (objets protégeant non identifiés). Quand on connaît l’aversion des Japonais pour la moindre goutte de pluie, on reste pantois quant à cette propension à abandonner derrière soi cet indispensable accessoire des (nombreux) jours de pluie.
Il pleut donc beaucoup au Japon en juin, c’est acquis… Mais chaque problème devant trouver dans ce pays sa solution, à défaut de pouvoir profiter en cette saison de Phébus, l’ingéniosité nipponne a tout fait pour vaincre les nimbo-stratus. Au rayon parapluies, la première innovation fut l’apparition, fort ancienne déjà, des parapluies transparents. On en saisit pleinement l’intérêt lorsqu’il faut naviguer à contre sens d’une foule compacte dont chacun des membres brandi lui aussi à bout de bras, non pas une pancarte de revendication (on laisse ça aux Français du mois de mai), mais un parapluie en plastique. Voir à travers son parapluie, au grand carrefour de Shibuya un samedi après-midi, c’est la seule consolation d’un jour de pluie.
Autre avantage de ces parapluies transparents en plastique, ils sont très bon marché et on en vend à tous les coins de rue. Surpris par l’averse traîtresse, nul n’est besoin de se résoudre à perdre son temps sous un porche en attendant une éclaircie, ni à se faire tremper jusqu’à l’os en bravant les intempéries, une pièce de 500 yens fera de vous l’heureux et sec propriétaire d’un magnifique parapluie transparent en plastique véritable acquis dans un kiosque de gare ou un kombini (supérette ouverte 24h/24) de quartier.
Il existe aussi, dans certaines gares, des services de “prêts” de parapluies, toujours pour les imprévoyants qui n’ont pas pris la peine de vérifier les prévisions météorologiques du jour, ce qui est, il faut bien en convenir, une faute de savoir-vivre bien plus inexcusable que de coordonner son sac Vuitton collection Murakami avec un débardeur de la marque Uniqlo à 1 299 yens. On est censé les rendre à la première occasion, la confiance règne encore dans ce pays, même si les statistiques montrent que cette solidarité des jours de pluie est bien mal récompensée.
Il y a aussi, au pays de la miniaturisation, le miniparapluie. Le dernier record répertorié dans cette catégorie mesure, replié, 15 centimètres sur 5, soit la moitié d’une carte postale, ce qui est plutôt ironique quand on se rappelle que même sur les cartes postales de Bretagne, il fait toujours très beau.
Et quand vous circulez en vélo, vous en faites quoi de votre parapluie ? 2 solutions: soit vous avez répété pour le Cirque du Soleil (encore ironique…) et vous savez tenir votre guidon d’une main, votre parapluie dans l’autre, klaxonner impétueusement les piétons qui se trouvent inopinément sur votre trajectoire et zigzaguer entre les mêmes piétons qui ont un iPod sur les oreilles ou un téléphone portable à la main (soit 100% des piétons répertoriés); soit vous avez installé sur le guidon de votre deux-roues la plus belle invention qui soit après le parapluie transparent, j’ai nommé: le clip porte-parapluie, qui maintient votre toit de toile bien droit pendant que vous pédalez, avec le sourire satisfait du consommateur averti. Et figurez-vous qu’il existe aussi le cadenas à parapluie pour vélo, qui vous permet d’abandonner votre pébroque sur votre monture le temps d’une course sans craindre les malfrats indélicats craignant eux aussi la pluie.
Je ne résiste pas enfin à vous livrer ma dernière découverte en matière de parapluies au Japon: le modèle pour chien, transparent, bien sûr, qui est monté à l’envers pour protéger Tobi, avec un collier fixé sous le toit bombé, et dont le manche sert de laisse. La vraie Classe !
Si seulement Hachiko avait pu bénéficier d’un tel gadget, il serait sans doute encore en train d’attendre son maître devant la gare de Shibuya…
Etienne Barral
Illustration : Pierre Ferragut