Qu’est-ce qui vous a amené à réaliser United Red Army ?
W. K. : Lorsque la prise d’otage d’Asama a eu lieu [NDLR: une aubergiste fut retenue par des étudiants de l’Armée rouge unifiée], j’ai tout de suite voulu en faire un film. Mais je savais que si je tournais, ce serait un film qui attaquerait le pouvoir. Il fallait donc que ce soit quelqu’un d’autre qui s’en charge, une personne qui prendrait plus de distance que moi. Hasegawa Katsuhiko a été pressenti, mais ça n’a pas marché. Ensuite, il y a eu Hikani no ame [Pluie de lumière] qui abordait le sujet sous la forme d’une préparation théâtrale. Enfin Harada Masato a réalisé, en 2002, un long métrage qui décrit l’assaut contre le chalet d’Asama [NDLR: il a été retransmis à la télévision pendant plus de 10 heures]. En voyant tous ces films, je me suis dit qu’ils ne reflétaient pas la réalité comme s’ils avaient voulu la filtrer et donner raison à la police. Pour moi, c’était inacceptable. Par ailleurs, je me suis souvent demandé pourquoi ces étudiants, issus de grandes universités et dont l’avenir était tout tracé, s’étaient soulevés pour tenter de changer même un peu la société japonaise. S’il y a prescription d’un point de vue juridique pour ce qui s’est passé à Asama, le cinéma, lui, ne connaît pas de limite de temps. Je me suis donc dit que j’étais le seul à pouvoir transmettre le témoignage de ces événements aux générations futures. J’avais alors passé les 70 ans. Si je ne le faisais pas tout de suite, ce serait difficile de m’y atteler après, ne serait-ce que d’un point de vue physique. Je n’avais pas beaucoup d’argent. Je ne disposais d’aucun soutien financier. J’ai donc hypothéqué mes biens pour réaliser ce film. Ça n’a pas été facile, mais je voulais rapporter la vérité.
C’est un peu comme un testament…
W. K. : Il y a bien sûr une part de ma vie dans ce film. Mais quand je l’ai terminé, ça m’a donné envie d’en faire un autre. Il est en cours de préparation. Il concerne la génération précédente de celle dont je parle dans United Red Army. Il s’agit de personnes qui ont connu la Seconde Guerre mondiale…
De quel personnage vous sentez-vous le plus proche ?
W. K. : Bando Kunio* assurément [NDLR: cet étudiant en agronomie a été arrêté lors de l’assaut contre le chalet d’Asama. Il a été libéré en 1975 à la suite d’une prise d’otages en Malaisie]. Je l’ai rencontré dans la plaine de la Bekaa au Liban. Il m’a raconté ce qui s’était passé à Asama. Dans United Red Army, on retrouve de nombreux souvenirs qu’il m’a rapportés. Je suis allé maintes fois voir sa mère qui m’a montré ses lettres. Il a joué un rôle important dans la conception du film lui-même.
Ce film ne reflète-t-il pas votre propre combat, c’est-à-dire votre volonté de rester en marge des grands studios et votre liberté de création ?
W. K. : C’est en effet ce que beaucoup de personnes disent. United Red Army serait le meilleur film de ma carrière.
Par rapport à cette jeunesse engagée que vous décrivez dans United Red Army, pensez-vous que la jeunesse japonaise actuelle soit prête à se lancer dans un nouveau combat ?
W. K. : Sincèrement je ne crois pas. S’ils font de l’affichage même à l’université, ils risquent des sanctions. De toute façon, les jeunes ne s’intéressent pas à la politique. S’ils manifestaient un peu plus d’intérêt, les choses pourraient changer dès les prochaines élections. Ils comprendraient alors que la politique est un élément important de la vie. Mais actuellement je n’ai vraiment pas l’impression qu’ils soient disposés à s’engager.
N’est-ce pas une vision un peu pessimiste ?
W. K. : On peut dire que je suis pessimiste. Mais quand on les observe dans le métro, le nez collé sur leur téléphone portable, quand on les voit se rendre en masse à Akihabara ou quand ils passent le reste de leur temps à lire des manga, il y a de quoi. Ils ne regardent même pas les films qui passent à la télé. Ils préfèrent les émissions de divertissement. On a vraiment l’impression qu’ils ont arrêté de penser, d’utiliser leur cerveau.
Pourtant il y a des jeunes qui cherchent à faire entendre leurs voix.
W. K. : Il y en a, c’est vrai. Parmi eux, certains ont organisé, cet hiver, le campement de tentes au parc Hibiya en faveur des intérimaires licenciés et des SDF [voir OVNI n°649 du 1er mars 2009]. Mais j’ai tendance à les critiquer, car il s’agit souvent de gens bien propres sur eux qui ont tendance à brasser du vent une canette de bière à la main. S’ils veulent se plaindre, je leur propose d’aller protester devant la Diète. Autrement ils n’ont qu’à rester chez eux. Je sais qu’ils n’iront pas à la Diète parce qu’ils n’ont pas de conscience politique. Pourtant, s’ils s’y rendaient en nombre, ils n’auraient rien à craindre. Il n’y a pas assez de place dans les prisons japonaises pour eux. Et même s’ils étaient interpellés, les prisons sont chauffées et on y est bien nourri. Ils n’oseront jamais le faire. Ils préfèrent se lamenter, dénoncer la précarité du travail plutôt que de mener des actions. Le responsable de cette situation s’appelle Koizumi Junichirô, l’ancien Premier ministre (2001-2006). On peut y ajouter ceux qui lui ont succédé. Pourtant on continue à voter pour eux. Rien n’est entrepris pour les priver du pouvoir. En plus, les candidats sont malins. D’une élection à l’autre, ils changent de circonscription à l’instar des geisha qui changeaient de pièce pour aller d’un client à un autre.
Propos recueillis par Claude Leblanc
Photo : Claude Leblanc
* Pour en savoir plus sur Shigenobu Fusako, autre personnage charismatique de l’Armée rouge japonaise, voir notre article paru dans OVNI n°468 du 15 novembre 2000. http://is.gd/uebQ