Sekikwa Natsuo a été le scénariste de la série Au temps de Botchan dessinée par Taniguchi Jirô. Elle a été publiée en France en cinq volumes par les éditions du Seuil.
Que représente pour vous Tezuka Osamu ?
S. N. : C’est un grand auteur. Il est celui qui a inventé le manga à histoires. Il est le bras principal du grand fleuve qui débouche sur le delta du manga moderne.
On parle beaucoup de la nostalgie des années Shôwa (1925-1989) au cours desquelles Tezuka a exercé son art. Que pensez-vous de ce phénomène ?
S. N. : Cette nostalgie à l’égard de cette période est une réaction au phénomène de la “mondialisation” et du “capitalisme à outrance”. Au cours de cette période de forte croissance économique, il existait un sentiment d’espoir auquel il faut ajouter cette attirance inconsciente pour les années d’avant-guerre où les gens entretenaient des relations fortes avec leurs voisins et les autres. Dans les œuvres de Tezuka, on retrouve cette richesse morale d’avant la guerre et la vitalité de l’après-guerre avec en arrière plan l’idée de “fédéralisme mondial” qui régnait avant que le Japon entre dans ses années de forte croissance économique à la fin des années 1950. Quand on relit ses œuvres, la nostalgie n’est pas la seule chose qui en ressort. Ce qui apparaît, c’est sa formidable imagination et son regard étonné à l’égard de l’histoire du monde.
Quelles sont vos œuvres préférées ?
S. N. : Astro le robot. C’est une œuvre où le personnage principal est plein d’audace et d’humanité. Astro lutte non seulement pour la justice, mais aussi pour la paix. Il lui arrive d’être blessé dans ce combat. En ce sens, il est un pur produit japonais, il veut créer un monde qui s’appuie sur les principes de la Constitution pacifique apparue après la guerre.
“Phénix, l’oiseau de feu”. C’est un grand drame historique qui fait des aller-retour entre le passé et le futur. Il pose des questions sur le sens de la vie, sur l’importance de l’histoire pour les hommes. Dans ce manga, le docteur Saruta est en quelque sorte l’alter ego de Tezuka. Il incarne à la fois une extrême confiance en soi de l’auteur et une immense solitude.
“Gringo”. C’est l’œuvre la plus tardive de Tezuka Osamu. C’est une histoire qui a pour décor l’Amérique du Sud et qui pose la question de ce qu’est le Japon et de ce que sont les Japonais. Malheureusement l’histoire reste inachevée car elle a été interrompue par la mort de l’artiste.
Peut-on dire que Tezuka Osamu est un humaniste au même titre que Kurosawa Akira ?
S. N. : Votre question est difficile. L’humanisme est un courant de pensée qui a eu son influence entre la Première et la Seconde Guerre mondiale, mais il n’a pas eu un impact profond dans la littérature japonaise de cette époque. Dans l’œuvre de Tezuka, on retrouve de cet humanisme. Toutefois, je ne pense pas qu’on puisse dire qu’il est un auteur humaniste. Si l’on reprend ses propos, ce qui lui importait, c’était d’écrire des “histoires qui provoquent des émotions”. Lorsqu’il composait ce genre d’histoire, il se posait des questions sur l’humanité, sur l’histoire, sur les Japonais. Des thèmes typiquement liés à l’après-guerre du Japon. Il se mettait ainsi en première ligne. On ne peut pas dire non plus que Kurosawa Akira soit un humaniste. Jusqu’en 1965, il était connu pour ses films de combat. C’était son domaine de prédilection. Il se peut qu’il ait pensé lui-même être un auteur humaniste, mais c’est une erreur. Le Kurosawa des années qui ont suivi a réalisé des œuvres de moindre importance. Elles étaient plutôt nombrilistes. De toute façon, je pense qu’on ne peut pas réduire une œuvre littéraire (et le manga en fait partie) à sa seule dimension humaniste. Voilà pourquoi de grands auteurs vont continuer à apparaître. Mais s’ils se cantonnent uniquement à l’humanisme, ils n’arriveront jamais à la hauteur d’un Tezuka Osamu.
Propos recueillis par Claude Leblanc