Dans quelques mois, les électeurs américains éliront leur prochain président. Et pour la première fois de l’histoire des Etats-Unis, le futur résident de la Maison-Blanche pourrait ne pas être blanc. Même si des séries télévisées comme 24 ont décrit une Amérique dirigée par un Noir, c’est le mangaka Kawaguchi Kaiji qui, en 1998, a imaginé de raconter l’histoire d’un candidat d’origine japonaise Kenneth Yamaoka dans une série intitulée Eagle. Parue initialement chez J’ai lu, la série avait été interrompue en France. Elle reprend aujourd’hui grâce à Casterman qui réédite dans sa fameuse collection Sakka les premiers volumes et publie la suite de cette série qui permet de comprendre la vision que les Japonais peuvent avoir des Etats-Unis, leur principal allié. C’est d’autant plus intéressant que Kawaguchi Kaiji est un habitué de ce sujet. Dans plusieurs autres manga comme Zipang ou Spirit of the sun, l’auteur d’Eagle a abordé la complexité des rapports entre le Japon et les Etats-Unis. Dans cette série, il donne une dimension supplémentaire en situant l’intrigue pendant l’élection présidentielle qui constitue un moment clé dans la vie politique américaine. Toujours dans la même collection, on appréciera La Fille fantôme de Hanawa Kazuichi. Moins ancré dans la réalité que l’œuvre précédente, ce manga nous entraîne dans l’univers des sortilèges et des maléfices avec une force incroyable. Le trait impeccable de Hanawa est parfaitement adapté à cette histoire surnaturelle. Pour poursuivre sur la même voie, mais dans une veine plus réaliste, nous vous recommandons La Fille des enfers d’Etô Miyuki adapté de la série animée éponyme disponible en DVD chez Kaze qui vient de paraître chez Pika Edition. Graphiquement moins riche que le travail de Hanawa, le thème abordé est très intéressant. Il s’agit d’une légende urbaine selon laquelle un site Internet permet de se venger de la personne que l’on hait le plus. Dans le premier volume qui regroupe plusieurs histoires courtes, on retrouve très bien l’atmosphère qui règne dans les collèges japonais et ce rapport étrange que les Japonais entretiennent avec la mort. Ceux qui obtiennent l’aide de la fille des enfers doivent cependant payer le prix fort : ils y perdent leur âme. A leur mort, ils finiront en enfer et leur âme errera dans la souffrance pour l’éternité. Un manga qui plaira assurément à un public plus jeune tant par les thèmes abordés que par le rendu graphique. Claude Leblanc |
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Parmi les éditeurs de manga, il y en a qui se distinguent par le choix des œuvres et le soin qu’ils apportent à la réalisation de leurs ouvrages. Cornélius appartient à cette catégorie. Il ne s’agit pas de flagornerie, mais d’une juste reconnaissance. Après nous avoir régalés des œuvres de Mizuki Shigeru dont le fameux NonNonBa (prix du meilleur album au festival d’Angoulême 2007), l’éditeur parisien revient à ses premières amours avec le premier volume de la trilogie Kaos signée Tezuka Osamu. Faisant écho au Prince Norman déjà paru chez le même éditeur, Kaos est une nouvelle illustration du grand talent de Tezuka. Il fait appel à notre imagination pour nous interpeller sur notre place dans la société et le rôle que nous devons y tenir. Un premier volume qui nous met en appétit pour la suite.
Tezuka Osamu, Kaos, trad. par Nathalie Bougon et Victoria Tomoko Okada, éd. Cornélius, 14€ |
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Miyabe Miyuki figure parmi les grandes figures de la littérature policière au Japon. Pourtant peu de ses œuvres ont été traduites. Aussi devons-nous nous féliciter de voir les éditions Picquier nous offrir un excellent polar à la limite du récit fantastique signé par l’auteur d’Une Carte pour l’enfer (Picquier poche) qui reste son meilleur roman. Avec Crossfire, Miyabe Miyuki nous entraîne, comme à son habitude, dans la société japonaise dont on perçoit les profonds bouleversements au travers de ses personnages. Aoki Junko possède le don de déclencher le feu à volonté et s’en sert pour rendre la justice. Face à elle, l’inspectrice Ishizu Chikako mène l’enquête de façon implacable. Nous nous laissons prendre au jeu et nous trouvons confronter à de nombreuses questions existentielles, ce qui ajoute à l’intérêt de ce roman envoûtant. | |
-Un été dans les années 80 dans le sud du Japon. Nae, une vieille femme de 80 ans, a pour les vacances ses quatres petits-enfants, des adolescents de 16 à 19 ans. Leurs parents sont partis à Hawaii rendre visite au frère de Nae gravement malade. Parmi les petits-enfants, il y a Tami. Comme sa grand-mère ne cuisine plus très bien, elle prend en charge les repas. Chaque jour, elle compose des plats à partir d’ingrédients jetés dans une marmite. Et au contact de sa grand-mère, elle va apprendre la généalogie familiale et découvrir les secrets de famille dont un la concerne directement. Cette œuvre pleine de sensibilité a obtenu le prix Akutagawa, équivalent de notre prix Goncourt. Et ce n’est pas étonnant. Murata Kiyoko a su tremper sa plume d’autant de force que de délicatesse pour évoquer les émotions qu’éprouve tour à tour chacun des quatre petits-enfants, la peur ou l’angoisse que suscitent certains lourds secrets familiaux, les doutes qui subsistent autour de ce passé déjà lointain, perdu dans la brume de la mémoire de leur grand-mère, et la tendresse aussi par-delà les générations. On apprécie la qualité de l’écriture de Murata et son souci de rester simple dans l’expression des émotions de chacun des personnages. “Le visage de ma mère, partie à Hawaii et que je n’avais pas vue depuis un moment, me revint tristement en mémoire. Ma mère Mugiko qui m’avait mise au monde était bien à plaindre, mais en pensant au nœud vertical de ma mère, j’ai laissé couler des larmes de tristesse sous le paulownia”, affirme l’un des héros de cette histoire. La poésie qui se dégage de tout le texte a d’ailleurs séduit feu Kurosawa Akira. Il a adapté le roman au cinéma sous le titre Rhapsodie en août, en insistant beaucoup sur cet aspect si caractéristique de l’œuvre. Murata Kiyoko, Le Chaudron, trad. par Anne-Yvonne Gouzard, éd. Actes Sud, 2008, 13,80€. |