N’importe quel adepte de manga de sport est capable d’identifier ce qu’évoque ici cet unique katakana, même désarticulé de la sorte. Le dessin n’est à lui seul pas très parlant. L’onomatopée, en revanche, raconte beaucoup de choses. On imagine ainsi toute la densité des acclamations d’un public nombreux dont les “oooooh!” résonnent dans la grandeur du lieu. Dans les gradins du Kôshien, où se déroule le toujours très populaire tournoi annuel de base-ball inter-lycées, les supporters font part en chœur de leur admiration pour les prouesses de leur équipe : waaaa!. La scène est constamment représentée dans les manga, où quand elle ne vient pas envahir le reste de la page l’onomatopée se paye le luxe d’une case spécialement conçue à son effet. Dans un travail de traduction, l’éliminer revient à amputer le dessin d’un de ses éléments centraux. La case devient vide de sens. L’onomatopée permet ici de faire l’économie de tout ce qu’elle figure tout en accentuant l’intensité dramatique de l’instant. Mais ce zoom sur la dimension émotionnelle du récit se fait parfois aux dépens de l’action dont on est finalement contraint de reconstituer le déroulement bribe par bribe. L’enthousiasme des supporters japonais lors des derniers Jeux olympiques, relayés dans les médias par des journalistes tous plus chauvins les uns que les autres, n’a pas effacé la frustration de celui que le sport intéresse plus que la victoire. Je repense à cet athlète nippon filmé en gros plan de bout en bout, sourire radieux à l’issue de l’épreuve. La joie se lit dans ses yeux. La caméra le déshabille dans un ultime zoom: pleurera? pleurera pas?… Au fait, il s’agissait de saut à la perche.
Pierre Ferragut