Hirata Hiroshi a signé L’Ame du Kyûdô en 1974. Tiré de faits historiques, ce récit relate l’épopée humaine que fut l’épreuve du Tôshiya. L’œuvre de Hirata qui comprend Zatoïchi et Satsuma est publiée en France par les éditions Delcourt
Photo : Anh Hoà TruongVous avez écrit L’Ame du Kyûdô (kyûdô shikon) il y a plus de 30 ans. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre œuvre ?
H. H. : Je dois avouer que depuis le temps, j’en ai presque oublié l’histoire (rires) ! A l’époque, j’ai appris l’existence de l’épreuve du Tôshiya, ce célèbre concours de tir à l’arc qui s’était déroulé à Kyoto au XVIIème siècle, en consultant des documents historiques un peu par hasard dans une bibliothèque. Je me suis très vite dit que cette histoire pourrait donner une bande dessinée intéressante et j’ai ensuite approfondi mes recherches. En mettant en scène un personnage ayant réellement existé, j’ai souhaité que le lecteur puisse y trouver un modèle crédible inspirant le courage, la détermination face aux difficultés ou encore le dépassement de soi.Au-delà de ces principes martiaux, on perçoit une morale profondément pacifiste dans ce récit.
H. H. : C’est le cas dans toutes mes œuvres. Je suis né dans une famille modeste et de fait, j’ai toujours été sensible à la souffrance d’autrui. Dans L’Ame du kyûdô, le père de Kanza, un samouraï de basse classe, est tué par des archers lors d’un entraînement pour l’épreuve du Tôshiya. Pourtant, le récit ne tournera pas autour du thème de la vengeance. Il s’agira en réalité d’une quête initiatique. Kanza finira même par venir en aide à ses rivaux. Dans notre société où règne une compétition impitoyable, on ne se soucie que d’écraser son voisin. Je suis totalement contre cette forme de violence. Il n’y a que par l’entraide que nous réussirons à améliorer le quotidien de tous.On associe souvent récit de samouraï et valeurs traditionnelles. Pourtant, vous semblez plutôt prôner un certain anticonformisme. Qu’en dites-vous ?
H. H. : A la fin du livre, Kanza donne son avis sur le concours. Selon lui, cette épreuve n’est qu’un jeu, mais pour l’organiser, les seigneurs ont fait souffrir le petit peuple et ont sacrifié des dizaines de samouraïs archers. Ce que j’ai souhaité dire, par l’intermédiaire de mon personnage, est qu’il faut absolument refuser ce genre d’absurdités humaines. Si nécessaire, il ne faut pas hésiter à se lever contre l’autorité lorsque celle-ci agit au détriment du peuple. D’ailleurs, selon moi, toute la différence entre un samouraï et un bushi [qui suit la voie du bushidô] réside là. Le samouraï n’est qu’un soldat qui suit aveuglément les ordres de ses supérieurs. Le bushi, lui, voue sa vie à comprendre ce qui l’entoure et à soutenir autrui, tout en restant fidèle à ses convictions.
Plusieurs fois dans votre carrière de gekigaka, vous avez délaissé votre plume. Qu’est-ce qui vous a poussé à reprendre à chaque fois ?
H. H. : Dessiner des manga est une vraie souffrance pour moi. Chaque nouvelle œuvre est le fruit d’une longue réflexion où je me force à admettre ma propre ignorance. Puis, lorsque je dessine, je m’investis totalement dans le récit au point de vivre les sentiments de mes personnages. Tout cela est très éprouvant. Mais comme j’aime à le penser, les épreuves et les souffrances nous aident à progresser. Si on s’évertue à fuir les difficultés, on n’atteint jamais un épanouissement personnel. C’est ma conception de l’écriture de manga et, plus généralement, de la vie.
Propos recueillis par Anh Hoà Truong
Ce volume de plus de 400 pages est un grand moment de plaisir. Il permet non seulement à l’amateur de manga de profiter du travail d’un grand dessinateur, mais aussi au simple curieux de mieux saisir la philosophie de cet art martial.
Hirata Hiroshi, L’Ame du Kyûdô, trad. Yano Tetsuya, coll. Akata, éd. Delcourt, 19,90euros.