Les onomatopées, comme n’importe quel substantif d’ailleurs, n’ont pas de genre en japonais. Pourtant, certaines d’entre elles s’emploient plus volontairement pour des femmes que pour des hommes, ou inversement. Shizu shizu est de celles-là. Elle décrit la douceur d’une démarche gracieuse, légère et posée, ce qui en théorie n’est pas le privilège des femmes, mais on imagine moins facilement un homme se mouvoir avec la même délicatesse. Du reste, on remarque que dans la vie quotidienne des Japonais l’opposition entre les deux sexes est souvent marquée encore aujourd’hui de façon artificielle, par des codes dont l’unanimité oblige à aller chercher la diversité ailleurs. On se demande par exemple sur quoi peut bien reposer l’attribution du bleu pour les garçons et du rose pour les filles à des choses qui, abstraction faite du coloris, n’ont absolument pas de sexe. Les années passent, le cartable des garçons demeure noir et celui des filles rouge. Si ce qui détermine un enfant à “devenir” garçon ou fille provient essentiellement de l’identité sexuée que les parents et la société projettent sur lui, alors on ne s’étonnera pas de cet excès de disparités homme-femme chez les Japonais. Dès le plus jeune âge, le port de l’uniforme à l’école systématise le pantalon pour les garçons et la jupe pour les filles. Même la langue marque l’opposition: en parlant de soi, un garçon affiche sa masculinité avec boku ou ore, et une fille recourt à atashi pour manifester sa féminité.
Pierre Ferragut