Debout pour les Aïnous mourants Les yeux brillants Iboshi Hokuto, Aïnou Ces quelques vers d’Iboshi Hokuto, écrits au milieu des années 1920, illustrent la prise de conscience du peuple aïnou à l’égard de son identité ethnique et culturelle ainsi que le combat que Kayano Shigeru, l’un de ses représentants les plus importants, à mener au cours des dernières décennies. Le combat de Kayano s’est arrêté le 6 mai. Celui qui fut le premier Aïnou élu à la Diète est décédé à l’âge de 79 ans. Peu organisés et divisés, les Aïnous n’ont guère pu faire entendre leur voix jusque dans les années 1960-70, au moment où, dans le monde, les mouvements de libération des peuples indigènes multipliaient leurs revendications. L’initiative est venue de jeunes qui remettaient en cause la principale organisation aïnoue, Utari Kyôkai, considérée comme avilie en raison de ses contacts avec les pouvoirs publics à Tokyo. Certains d’entre eux vont, dans les années 1970, graviter autour des mouvements d’extrême gauche qui constituaient des caisses de résonance à leurs revendications. D’autres vont créer des associations afin de promouvoir la culture aïnoue sur tout le territoire. L’engagement de Kayano Shigeru s’est inscrit dans ce désir de faire reconnaître les droits du peuple aïnou. Il a profité de l’ouverture du Japon dans les années 1980 pour exposer dans des instances internationales les revendications de son peuple, tout en s’associant à d’autres victimes de discrimination dans l’Archipel comme les burakumins ou encore les Coréens du Japon (zainichi). Il s’est cependant souvent heurté à l’intransigeance du gouvernement japonais qui n’accorde pas au peuple Aïnou le statut de minorité ethnique dans la mesure où, selon la doctrine officielle, le Japon est “une nation homogène qui ne connaît pas de problèmes raciaux”. En se faisant élire sénateur, en août 1994, à la Diète, Kayano Shigeru a réussi à faire entendre la voix de son peuple et a multiplié les initiatives pour amener le gouvernement à réviser une position jugée inacceptable. L’un de ses principaux objectifs a été l’abolition de la loi sur la protection des aborigènes, datant de 1899 et discriminatoire à l’égard des Aïnous puisqu’il s’agissait de détruire purement et simplement la culture aïnoue. Les associations aïnoues ont donc élaboré un projet de loi connu sous le nom de Nouvelle loi aïnoue (ainu shinpô), adopté en 1984 par les représentants aïnous avant d’être entériné par le Parlement japonais le 8 mai 1997. Reconnaissant pour la première fois l’existence d’une minorité ethnique sur son territoire, le nouveau texte de loi a constitué une étape extrêmement importante pour Kayano et les siens. Bien entendu, elle n’a pas permis de régler tous les problèmes auxquels sont confrontés les membres de la communauté aïnoue, en particulier la discrimination. Plusieurs enquêtes menées ont montré que nombre d’entre eux en étaient encore victimes notamment dans le travail et au niveau des mariages. Kayano savait que la loi ne suffirait pas à changer les mentalités. Il estimait nécessaire de promouvoir la culture et la langue aïnoue. Après le passage de la loi, il a décidé en 1998 d’abandonner la vie politique pour se consacrer à ce travail. “Mon dictionnaire de langue aïnoue est paru quand j’étais encore au Parlement. Je voulais poursuivre dans cette direction. Aussi j’ai bien réfléchi. J’ai regardé mon âge et je me suis dit que je serai désormais bien plus utile sur le terrain culturel que sur celui de la politique”, racontait-il récemment. Il a quitté Tokyo pour s’installer à Nibutani au sud de l’île de Hokkaidô où il a poursuivi jusqu’au bout son engagement en faveur de la reconnaissance de la culture aïnoue. L’une de ses dernières initiatives aura été de créer FM Pipaushi (www.aa.alpha-net.ne.jp/skayano/menu.html), le 8 avril 2001, une radio diffusée sur Internet dont les programmes sont en langue aïnoue. Animée notamment par son fils Kayano Shirô, cette initiative radiophonique et cybernétique montre à quel point l’homme fut en phase avec son temps. L’enthousiasme qu’il a toujours montré est un bel exemple à suivre pour les nouvelles générations aïnoues. Et comme l’écrivait si bien Iboshi Hokuto : “Debout pour les Aïnous mourants !”. Claude Leblanc |
Kayano Shigeru au micro de FM Pipaushi
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