Dans les années 1980, alors que les entreprises japonaises taillaient des croupières à leurs concurrentes occidentales, le président des Etats-Unis avait choisi de mettre en œuvre une politique économique qui privilégiait les dérégulations, les baisses d’impôts et la réduction des dépenses publiques. Il s’agissait pour Ronald Reagan de relancer l’économie américaine. La nouvelle orientation libérale voire ultra libérale de la politique économique américaine visait avant tout à poser les bases d’une nouvelle économie. Une génération de jeunes entrepreneurs a fait son apparition et a permis au pays de reprendre le chemin de la croissance. De nouvelles pratiques souvent agressives ont également accompagné la renaissance économique des Etats-Unis. Les offres de rachat hostiles se sont multipliées et ont été l’occasion pour certains de se construire rapidement des fortunes. Le “capitalisme sauvage” venait de faire son apparition. L’âge d’or des entreprises japonaises a pris fin avec l’éclatement de la bulle financière au début de la décennie suivante. Malgré les milliards injectés pour sa relance, la machine économique n’a pas redémarré. Confrontés à cette situation sans solution apparente, les Japonais ont redécouvert la frugalité (seihin) après avoir dépensé sans compter pendant les douces années de la bulle financière. En 1994, Nakano Kôji a remporté un grand succès avec son livre Seihin no shisô (L’Esprit de la frugalité) dans lequel il expliquait comment on pouvait être heureux avec le minimum. Il va sans dire que cette méthode Couet avait ses limites et qu’une partie de la population, les jeunes en particulier, ne pouvait pas accepter de vivre ainsi. L’avènement d’Internet et le développement de ce qu’on a appelé les nouvelles technologies de la communication ont bouleversé l’économie aux Etats-Unis, puis dans le reste du monde. Au Japon, où les pouvoirs publics tentaient péniblement de mettre en œuvre des réformes structurelles, la nouvelle économie a favorisé l’émergence d’une nouvelle race d’entrepreneurs inspirés par le libéralisme américain hérité de l’ère Reagan. L’engouement des Japonais pour Internet a été si rapide que des entreprises comme Softbank ou encore Livedoor ont été propulsées en l’espace de quelques mois parmi l’élite de l’économie japonaise. Leurs patrons, pour la plupart jeunes, n’ont pas bénéficié de la culture capitaliste nippone, préférant de loin l’agressivité anglo-saxonne, pour mener leurs affaires et les développer. Leur réussite est intervenue au moment où Koizumi Junichirô devenait Premier ministre avec un programme de réformes audacieux. L’homme a vite compris l’intérêt de soutenir ces entrepreneurs dont le credo était d’agir avant de discuter, une méthode qu’il a expérimenté, en 2005, avec son projet de privatisation des Postes. Il était d’autant plus sensible à leur style qu’une partie non négligeable de l’opinion publique semblait conquise par le discours et le mode de vie de ces hommes, en particulier Son Masayoshi et Horie Takafumi. Ce dernier avait même été surnommé Horiemon en référence au personnage mythique de dessin animé Doraemon. S’afficher avec eux était évidemment un atout considérable pour le Premier ministre, car cela signifiait qu’il se positionnait dans le camp des gagnants (kachigumi). Son soutien à la candidature de Horie Takafumi lors des élections législatives de septembre 2005 illustre parfaitement cet état d’esprit. Cela aurait pu durer encore longtemps si Horie et ses méthodes n’avaient pas été prises en défaut à la fin du mois de janvier. Celui qui incarnait le nouveau Japon, le Japon des réformes, est tombé pour une histoire de comptes truqués, mettant en évidence la fragilité des fondations sur lesquelles le gouvernement entendait bâtir l’ensemble de sa politique économique. En l’espace de quelques heures, le Japon a perdu quelques-unes de ses illusions. Et il ne serait pas étonnant de voir les Japonais faire une nouvelle rechute. Claude Leblanc |
Horie Takafumi au temps de sa gloire |