Observer, rapporter, témoigner. Voilà tout ce qu’André Leroi-Gourhan a voulu faire, lorsqu’en 1937, il s’est rendu au Japon pour un voyage d’étude de deux années. Premier boursier franco-japonais, il a passé une grande partie de son séjour à Kyoto. “C’était pour moi une espèce de paradis”, a-t-il raconté plus tard en rappelant qu’il avait “vécu là-bas très près du peuple, des paysans” et qu’il avait aussi “beaucoup d’admiration pour les Japonais. Il y a chez eux des hommes qui savent unir de façon étroite l’ésthétique et la vie quotidienne”. A l’époque où André Leroi-Gourhan découvrait le Japon, un certain nombre de Japonais cultivés tentaient de faire redécouvrir à la population locale la beauté de leur artisanat. Grâce à leurs efforts, le premier musée d’art populaire a vu le jour, en 1936, à Tokyo. De nombreux artistes qui appartenaient à ce mouvement d’art populaire baptisé Mingei, ont eu une influence sur le travail d’observation de l’ethnologue. “Comprendre un peuple, comme comprendre un homme, c’est se dépouiller complètement pour accueillir le nouveau”, explique André Leroi-Gourhan dans le préambule de Vie esthétique et sociale du Japon nouveau rédigé en 1939, un texte que l’on retrouve avec beaucoup d’autres dans le superbe ouvrage intitulé Pages oubliées sur le Japon et publié par l’éditeur Jérôme Millon. A la lecture de ce livre qui réunit la totalité des textes écrits par André Leroi-Gourhan lors de son séjour de deux ans dans l’Archipel, on découvre non seulement la passion qui a animé l’auteur, mais aussi et surtout un regard sur le Japon plein de fraîcheur et sans parti pris. Observateur attentif, il rapporte de ses rencontres des dessins, des impressions qui enrichissent son propos et lui donnent toute sa profondeur. C’est un peu la même démarche qui a animé Leonard Koren dans les deux petits ouvrages édités par Le Lézard noir L’Art du bain japonais et Exercices d’automne. L’Américain a rapporté de ses voyages au pays du Soleil-levant deux témoignages intéressants du quotidien japonais qui n’ont pour ambition que de transmettre une réalité ordinaire. Dans L’Art du bain japonais, il livre la recette d’un bain réussi en décrivant le plus précisément possible ce qu’il convient de faire pour profiter pleinement de cette expérience. Avec Exercices d’automne, c’est à une “méditation douce-amère” sur le sens de la vie que le lecteur est invité. Yokoyama Yûichi est un peu plus difficile d’accès même si l’auteur de Travaux publics et de Combats parus aussi aux Editions Matière ne s’appuie que sur le dessin pour nous emmener en Voyage. En effet, il s’agit d’une œuvre très originale et un peu déroutante lorsqu’on s’y plonge pour la première fois. Mais au travers de son trait si personnel et si puissant, Yokoyama confirme qu’il est un auteur de très grande classe. Avec Voyage, il nous montre qu’un simple déplacement en train dans tout ce qu’il a d’ordinaire peut devenir un périple extraordinaire. Chaque image est liée à l’autre par un élément qui permet de rebondir à chaque instant. Le lecteur est ainsi pris dans une sorte de tourbillon visuel qui traduit la férocité du quotidien dans les cités japonaises. C’est aussi ce qui ressort des deux premiers volumes de la série The World is mine d’Arai Hideki que l’éditeur Casterman publie ces jours-ci. A travers la balade sauvage de deux apprentis terroristes, le dessinateur brosse un portrait au vitriol du Japon contemporain en perte de repères. Saisissant comme l’enfer. Claude Leblanc |
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