Q ui n’a jamais eu la sensation d’être pris de vertige en déambulant dans les rues de Tokyo ? Qui n’a jamais eu l’impression que la capitale japonaise était en fait une vaste caisse de résonnance à l’intérieur de laquelle toutes sortes de sons invitent le piéton à agir ou à réagir ? Qui n’a jamais eu le sentiment que l’image avait envahi la première ville du Japon au point de transformer chaque façade, chaque pan de mur, chaque espace même le plus infime en un écran sur lequel on peut voir Zinédine Zidane en mouvement ou encore lire les dernières nouvelles de l’Asahi Shimbun ? Roland Barthes, dans L’Empire des signes que les éditions du Seuil viennent de rééditer en format de poche, avait rapporté son expérience dans cette ville “inclassée”, “innommée” et avait montré à quel point le motif, c’est-à-dire ce qui “met en mouvement”, était omniprésent dans la cité japonaise. Eric Sadin dans son Tokyo que fait paraître l’éditeur P.O.L dresse un constat identique mais beaucoup plus facile d’accès que celui de son aîné. L’auteur qui nous avait déjà gratifié d’un superbe ouvrage Nihon_No_Kigo, Signes du Japon (éd. Onestar Press, 2003) prolonge sa découverte du Japon et surtout de sa capitale dans un livre dont le style entraîne le lecteur dans un tourbillon urbain où le son et l’image dominent presque tout. Chaque page, chaque phrase nous transporte dans un univers que l’on a du mal à imaginer. Aussi il convient peut-être de savourer ces instantanés avec modération car on peut finir très vite par perdre toute notion d’espace. Avec Tokyo, Eric Sadin confirme que la capitale japonaise n’est assurément pas une ville tout à fait comme les autres même si les écrans géants envahissent de plus en plus nos villes occidentales. Il nous montre surtout que les Japonais ont su s’adapter à cette déferlante d’images et de sons, passant de l’un à l’autre, mixant les uns avec les autres, pour parvenir à s’orienter, à travailler, à s’amuser dans cette cité : “Sur sa Playstation & dans les toilettes du Shinkansen on circule entre Starsky & Hutch & entre Osaka & Tokyo”. Eric Sadin s’amuse aussi avec les mots qui nous transportent si bien et si loin. C’est à un autre voyage que Dominique Rivolier nous invite dans Rires du Japon (éd. Philippe Picquier). Plus didactique, plus sérieux, plus posé, cet ouvrage n’en constitue pas moins un moment de bonheur car il montre avec force combien le rire est important chez les Japonais contrairement à ce que l’on pourrait parfois croire chez nous. Non les Japonais ne sont pas un peuple qui ne pense qu’à travailler et qui oublie de s’amuser. Il nous rappelle d’ailleurs que le Japon n’aurait peut-être jamais existé s’il n’y avait pas eu les rires des dieux. En effet, s’ils n’avaient pas ri, la déesse du soleil Amaterasu ne serait pas sortie de la grotte où elle s’était cachée pour permettre ainsi au jour de paraître, et à la vie de reprendre son cours… Richement illustrée, cette étude est un formidable périple dans l’histoire du Japon ancien et contemporain. C. L. |
Roland Barthes, L’Empire des signes, Seuil, 2005, 9€ Eric Sadin, Tokyo, P.O.L, 2005, 21€ Dominique Rivolier, Rires du Japon, Philippe Picquier, 2005, 18,50€ |
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