Les Japonais ont une vraie culture du chant. Ils n’ont certes pas toute la créativité de notre fête de la musique dont le plus grand mérite est sûrement de permettre d’explorer tous les styles, mais leur plaisir à chantonner ne se cantonne pas à la maternelle et ils savent entretenir un répertoire abondant, nourri par une énorme production de chansons populaires. Le karaoke n’est pas né au Japon pour rien. Dans les années 80, l’arrivée du karaoke box a peut-être encouragé un certain isolement, mais il a surtout permis à tous ceux qui avaient encore des complexes de se lancer sans scrupules pour les voisins. Pourtant, chanter en public hors d’un cadre prévu à cet effet comme le karaoke ne semble pas évident pour tout le monde. Les nouvelles générations n’ont commencé que récemment à descendre dans la rue pour pousser la chansonnette en grattant frénétiquement leur guitare : jaka jaka. Cette façon d’investir l’espace urbain sans contraintes pour laisser libre cours à ses pulsions de chanteur en herbe est plutôt la bienvenue dans cette société encore peu propice à laisser s’exprimer les personnalités. Mais encore faudrait-il jouer le jeu à fond, car ces musiciens ont la fâcheuse tendance de se copier les uns les autres en prenant place aux mêmes endroits, aux mêmes heures, pour interpréter le même type de chanson. De révolution des mœurs il n’est que leurre et c’est de mode qu’il convient mieux de parler. Au Japon, la musique est avant tout une histoire d’accords, d’arrangements et d’harmonie.
Pierre Ferragut