RENCONTRE AVEC : KITAMURA RYÛICHI, CHERCHEUR À L’UNIVERSITÉ DE KYOTO
Auteur
du récent Tetsudô de machizukuri [Bâtir la cité avec le rail, éd.
Gakugei Shuppansha, Kyoto, 2004], Kitamura Ryûichi, spécialiste des
transports, exprime ses sentiments vis-à-vis de la politique du rail
menée dans l’Archipel.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le rail a joué un si grand rôle dans le développement urbain au Japon ? K.
R. : Les raisons sont multiples, mais, à mon sens, la plus importante
repose sur la motorisation tardive du pays. En effet, une grande partie
du réseau ferré était en place avant l’essor de l’automobile dans les
années 1960. Par exemple, 75 % du réseau existant à Kyoto-Osaka-Kobe
(Kei-Han-Shin) existait au moment de la crise de 1929. A ce titre, les
entreprises privées ont joué un rôle décisif. En parallèle, les
pouvoirs publics ont misé sur la création d’un réseau national,
rachetant le cas échéant des lignes privées pour assurer l’existence de
ce réseau national.
Il convient d’ajouter que la pénurie de
terrains destinés au développement urbain, résultant de l’inflation des
prix fonciers, a favorisé la densification du pays et a joué en faveur
du rail. Par ailleurs, le plan local d’urbanisme est très souple au
Japon, ce qui a permis de créer des zones mixtes où différentes
activités se trouvent à des distances raisonnables. C’est donc très
différent de ce qui se passe aux Etats-Unis où les règles sont plus
rigides. C’est pourquoi on y trouve de vastes zones résidentielles
(souvent ennuyeuses) situées en périphérie qui sont très dépendantes de
l’automobile. Au Japon, c’est l’inverse. Au cœur des zones très
densément peuplées, on trouve les gares autour desquelles s’est
développée une grande partie des activités urbaines.
Mais je dois reconnaître qu’avec la motorisation, de nombreux habitants
des villes n’ont plus de raison de se rendre dans les gares, en
particulier dans les zones urbaines les plus petites. Seuls les lycéens
qui n’ont pas encore le permis et doivent aller à l’école ainsi que les
personnes âgées, qui ne conduisent pas non plus, empruntent les réseaux
ferrés. A l’exception des grandes métropoles, le rôle des chemins de
fer diminue et du même coup celui des gares. Je ne sais pas ce que l’on
peut faire pour enrayer le phénomène. Les habitants de ces zones, qui
ont misé sur l’automobile, doivent prendre en charge le problème et
décider de ce qui doit être entrepris pour éventuellement y remédier.
Je pense que c’est leur choix de laisser les mauvaises herbes envahir
les gares.D’après vous, quelle devrait être la politique du Japon en matière de transports ? K.
R. : Malgré ce que je viens de dire, je ne crois pas en l’automobile.
Elle n’est pas à sa place dans les grandes cités qui sont des lieux où
tout se passe. Un des graves défauts de la politique de transport
urbain mise en œuvre par les gouvernements successifs réside dans la
croyance selon laquelle l’automobile est un moyen efficace pour les
transports dans les zones urbaines. C’est une grosse erreur. En lisant
l’introduction de n’importe quel manuel théorique sur les transports,
on s’aperçoit que l’automobile n’est pas adaptée aux zones de grande
densité. Les gens, y compris les urbanistes et les responsables de la
planification dans les transports, n’ont pris conscience de cette
réalité. Il reste encore beaucoup de personnes qui n’en ont pas pris la
mesure. Ils continuent de dépenser des sommes astronomiques (à l’image
des 100 milliards de yens au km destinés à la construction d’une
autoroute souterraine à Tokyo) pour décongestionner les centres urbains
même s’il s’agit d’un objectif impossible à réaliser. C’est pourquoi je
propose que l’on investisse davantage dans le développement
d’infrastructures pour les piétions et celui des transports en commun.
Le niveau du service dans les transports publics au Japon doit être
élevé car je crois qu’on traite mieux les cochons qui vont à l’abattoir
que les usagers des transports à Tokyo. Il faut réduire l’espace dédié
à l’automobile dans le centre des grandes villes comme ce qui est fait
actuellement à Londres. Des mesures doivent être prises pour créer des
zones piétonnes et zones réservées aux transports publics afin de
réduire l’usage de l’automobile. Il faut des mesures cohérentes qui
abordent à la fois la question des transports publics, celle de la
circulation automobile ainsi que celle de la revitalisation urbaines
des zones centrales. Malheureusement la réalité est tout autre. La
planification des routes et celle des chemins de fer sont menées
indépendamment l’une de l’autre par deux services au sein du ministère
du Territoire, des Infrastructures et des Transports (Kokudo kôtsûshô).