Il y a 40 ans, jour pour jour, le Shinkansen, le train à grande vitesse japonais, était officiellement inauguré entre Tokyo et Osaka. Un événement qui marquait l’apogée du rail au pays du Soleil levant.
Ils sont rares les pays où les entreprises de chemin de fer communiquent régulièrement sur le renouvellement de matériels. Au Japon, pratiquement chaque année, les principales compagnies ferroviaires font la promotion de leurs nouvelles machines ainsi que celle de leurs nouveaux wagons comme peuvent le faire les constructeurs automobiles qui vantent le confort ou encore la vitesse de leurs dernières nées. Cela traduit l’importance que le train occupe dans le pays même si, au cours des dernières années, les voitures ont pris une place de plus en plus grande dans le quotidien des Japonais.
C’est, en 1869, sous l’impulsion de l’ambassadeur britannique Sir Harry Parkes, que l’idée de construire une première ligne de chemin de fer a vu le jour. L’argument massue de l’Anglais était que l’avènement du train permettrait au Japon d’accélérer sa modernisation, en assurant notamment un approvision-nement plus rapide des villes qui pouvaient encore souffrir de certaines pénuries. Jusqu’à cette époque, l’essentiel des transports s’effectuait par cabotage. Le réseau routier était peu développé à l’intérieur du pays pour des raisons historiques et politiques, l’accent ayant été mis sur le transport fluvial. Séduites par le projet, les autorités japonaises mirent en chantier la première ligne entre Tokyo et Yokohama, l’un des ports ouverts au commerce avec l’étranger, en 1870 avec l’aide des ingénieurs venus d’Angleterre. L’empereur Meiji inaugura, le 14 octobre 1872, les 29 kilomètres séparant les gares de Shimbashi à Tokyo et de Noge Kaigan (aujourd’hui connue sous le nom de Sakuragicho) à Yokohama. Il fallait alors 53 minutes pour effectuer le voyage. Un an plus tard, les premiers trains de marchandises reliant les deux villes entraient en service, marquant ainsi le lancement d’une campagne de construction de voies ferrées dans le reste du pays.
Si la ligne Tokyo-Yokohama est passée sous le contrôle du ministère des Travaux publics, le développement de la plupart des autres lignes est dû à des initiatives privées. L’Etat, qui dépensait déjà beaucoup pour moderniser son appareil industriel et introduire de nouvelles technologies dans le pays, rencontrait de nombreuses difficultés financières. Il dut ainsi se résoudre à autoriser des entreprises privées à se lancer dans la construction de réseaux ferrés. En 1881, Nippon Railway (Nippon tetsudô) fut la première compagnie privée à obtenir l’autorisation d’exploiter une ligne entre Tokyo et le Tohoku, au nord du pays, l’un des principaux lieux de production de riz. L’engouement des entrepreneurs japonais pour le train oblige très vite les autorités à prendre des initiatives afin d’éviter l’anarchie. La loi sur la construction ferroviaire adoptée en 1892 répond à la nécessité de planifier le développement du chemin de fer dans le pays. Cependant, elle ne satisfait pas tout le monde, les militaires en particulier, lesquels souhaitaient une nationalisation des lignes jugées stratégiques et indispensables à la sécurité du Japon. Ils obtiennent satisfaction en 1906 quand le gouvernement rachète 17 entreprises et crée l’Agence des chemins de fer (tetsudôin) directement placée sous l’autorité du Premier ministre. En 1920, l’Agence devient un ministère. A cette époque, les deux principales villes du pays connaissent un mouvement d’urbanisation de leurs banlieues qui se traduit par le développement des transports ferrés. Gérés par des entreprises privés, les réseaux qui se mettent en place au cours de cette période assoient une bonne fois pour toute la prédominance du rail sur les autres moyens de transport. Cela se fait d’autant plus facilement que les entrepreneurs assurent à la fois le transport des passagers mais leur fournissent également des services importants en construisant autour des gares des centres commerciaux qui deviennent rapidement le poumon des cités japonaises. C’est le cas de Kobayashi Ichizô avec sa société Minoo Arima Electric Railway fondée en 1907 qu’il rebaptise Hankyû en 1918. Il préconise le développement de cités en périphérie d’Osaka, met en place des programmes immobiliers le long des lignes qu’il exploite et fonde le grand magasin éponyme au-dessus de la gare d’Umeda. Kobayashi fera des émules au premier rang desquels Gotô Keita qui suivra son exemple à Tokyo en créant la société Tôkyû. Avec un secteur public fort et des entreprises privées puissantes, le train poursuit son essor. En 1950, le train jouit d’un quasi monopole, occupant 90 % du trafic de voyageurs. Voilà qui explique pourquoi les autorités investissent dans le train à grande vitesse qui voit le jour en octobre 1964, au moment où Tokyo accueille les Jeux olympiques. Mais au moment où la première ligne à grande vitesse entre en service, le Japon inaugure sa première autoroute entre Nagoya et Kobe. L’automobile pointe alors le bout de son capot. Quarante ans plus tard, le train n’attire plus que 32 % de voyageurs (8 % en France) dans l’Archipel.
Claude Leblanc
photo : Ballet de trains près de la gare d’Ochanomizu, à Tokyo
RÉFÉRENCES
Pour en savoir plus sur la place du rail dans l’Archipel, nous vous recommandons l’ouvrage de Natacha Aveline, La Ville et le rail au Japon publié par CNRS Editions en 2003 (25$). Vous pouvez également consulter l’entretien qu’elle nous a accordé à l’adresse suivante : www.japonline.com/jfra/
eterv/aveline.asp
LITTERATURE
La relation étroite que les Japonais entretiennent avec le train est partout visible au point que l’on pourrait affirmer, sans exagérer, qu’il existe une véritable culture ferroviaire. La littérature en est une illustration. Plusieurs écrivains ont construit leur carrière sur des récits autour de l’univers du train. Le plus célèbre en France étant Matsumoto Seichô, maître du polar japonais et auteur notamment de Tokyo Express (éd. Philippe Picquier, 1989). Dans ce roman, le train occupe une place centrale. Tous les crimes ont lieu dans les gares ou non loin d’elles. Matsumoto transporte ainsi le lecteur aux quatre coins du pays, rappelant au passage le rôle essentiel du chemin de fer dans le désenclavement des régions. Si Matsumoto accorde une place importante au train dans d’autres de ses romans comme Le Vase de sable ou La Voix, tous deux édités par Philippe Picquier, le roi du “mystère ferroviaire” nippon, reste Nishimura Kyôtarô, auteur de quelque 250 romans et nouvelles bâtis autour du train. Le père du célèbre policier Totsugawa Shôzô qui mène la plupart des enquêtes sur les crimes commis dans les trains est malheureusement peu traduit en français. On peut tout de même découvrir son style dans Les Dunes de Tottori (éd. Seuil, 1992). A l’instar de son illustre prédécesseur, Nishimura Kyôtarô utilise le train pour transporter ses lecteurs dans différentes régions japonaises et y ajoute une multitude de détails sur le matériel, ce qui ne manqua pas de ravir les accros du rail. Ces derniers sont en effet nombreux dans l’Archipel. Leurs associations contribuent à rappeler aux plus jeunes davantage attirés par l’automobile que le train reste un des fondements de la société moderne japonaise. D’ailleurs, on ne trouve guère de romans qui accordent autant de place à la voiture.