Avertissement ! A tous ceux qui n’aiment que le Kitano en yakuza ou flic quasi-muet, de Violent Cop à Sonatine, Hanabi ou Aniki, mon frère, Dolls est fortement à déconseiller ! Pour les autres, qui ont su apprécier ses différentes variations poétiques ou comiques (A scene at the sea, Kids return, L’Été de Kikujiro), Dolls apparaîtra comme la dernière facette de son inspiration éminemment schizophrène. Et pourtant, malgré l’absence de violence clinique et de son propre personnage, Dolls recoupe bien la “thématique kitanesque”… Renonçant à son personnage de yakuza-flic inquiétant, Kitano s’est replongé dans les récits d’amour et de mort de Chikamatsu, sans doute le plus grand dramaturge que le Japon ait connu. Un film d’une beauté triste, très japonaise Dès le début du film, le ton est donné, avec la magnifique ouverture sur les marionnettistes du Bunraku présentant une pièce de Chikamatsu, Le courrier des enfers (Meido no hikyaku), où l’effet de représentation est donné tel quel, face au public attentif du Théâtre national de Tokyo. A partir de là, Kitano et son opérateur surdoué, Yanagishima Katsumi, tissent des variations sur ce thème éternel des amants maudits. Suivant le fil rouge des “amants errants” (Kanno Miho et Nishijima Hidetoshi) et celui des saisons japonaises – si admirablement photogéniques ! -, il transpose le thème en l’incarnant dans deux autres récits “modernes”. Le plus beau et le plus émouvant est sans doute celui du yakuza vieillissant Hiro (Mihashi Tatsuya, une légende vivante du cinéma japonais) qui vient attendre sa fiancée (Matsubara Chieko, autre légende) et son bento sur un banc intemporel. La nostalgie du temps passé et idéalisé y est subtilement filmée, avec une émotion contagieuse. L’autre “conte moral” est celui de la pop-star, interprétée par Fukuda Kyoko, défigurée par un accident de voiture et retrouvée par un fan exemplaire joué par Takeshige Tsutomu, qui se sacrifie par idolâtrie excessive. Enfin, le cordon rouge des amants condamnés à l’errance sans fin nous mènera jusqu’au double suicide, dans un hommage flamboyant au mythique Shinjû surgi du répertoire Kabuki et Bunraku. Le tout est d’une beauté triste, très japonaise, baignant dans une atmosphère de profonde nostalgie à laquelle se mêle intimement la musique obsessionnelle du fidèle Joe Hisaishi. Les allergiques au film (il y en a) l’accusent d’être trop décoratif, ennuyeux, et “japonesque”, tandis que ses admirateurs tomberont sous le charme d’un style cultivé et esthète un peu “décalé” pour l’auteur de Sonatine. Alors, Dolls, film évidemment destiné autant à l’étranger qu’à un certain public japonais, n’est-il qu’une parenthèse ou marque-t-il le début d’une nouvelle période, après les critiques adressées à Aniki, mon frère ? Réponse dans le prochain film de Kitano… une revisitation du célèbre Zatoichi (le Masseur aveugle), jadis interprété par le mythique (et défunt) Katsu Shin(taro). On meurt d’impatience ! Sore ja, mata Max Tessier |
“Dolls” de Kitano Takeshi
Dolls (Dooruzu) N.B. : En raison de l’annonce tardive des films japonais retenus pour le Festival de Cannes, Max Tessier reviendra sur cette sélection dans notre prochain numéro. Ne le manquez pas. |
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