Passionné par Dada, Marc Dachy nous transporte d’une avant-garde à l’autre, de Zürich et de Berlin, où Dada est né (fin 1915), à Tokyo, où Mavo a pris le relais. L’un des maillons qui, dans les années 1920, relie le Japon à l’Europe est Murayama Tomoyoshi. Murayama arrive à Berlin en février 1922 au moment de la Première Exposition d’art russe organisée à la galerie Van Diemen. Son parcours est typique du jeune homme privilégié de l’époque : fils d’un médecin de la Marine, il entre au Premier Lycée de Tôkyô, puis à la Faculté de lettres de l’Université de Tôkyô. Il a pour professeur Uchimura Kanzô, un personnage remarquable, un pacifiste, un éclairé. C’est à son retour de Berlin que Murayama rencontre les artistes avec lesquels il crée le groupe Mavo. On ne sait pas comment ils forment ce mot, un mot «hors langue, comme Merz [cette «procédure créatrice» élaborée par Kurt Schwitters], comme Dada, de l’autre côté de l’usage». Marc Dachy osculte le phénomène même de l’avant-garde, le réseau étroit et international qui la constitue ; l’avant-garde naît avec la modernité. Au Japon, elle est d’abord littéraire dans les premières années du siècle, avec ces revues mythiques – Chuô Kôron (qui opte pour la critique littéraire en 1899), Mita Bungaku (fondée en 1910 par Nagai Kafû), Shirakaba (dans les années 1920). C’est par le biais d’écrivains qu’elle devient artistique quand, au début des années 1920, Mori Ôgai introduit le futurisme, Tshuji Jun et Takahashi Shinkichi, le dadaïsme. Mavo, qui entend «gagner du sens à tout instant de l’existence, à travers le moindre détail», poursuit la réflexion Dada. Le «constructionnisme conscient» de Murayama le conduira au décor scénique et à la danse (avec Na no tsukerarenai odori – sa «danse qui ne saurait être nommée»). Gutai (1954-1972), ce mouvement initié par Yoshihara Jirô, «invente[…] des procédures créatrices et tout s’y passe comme quand tout est à faire et à inventer». Marc Dachy estime qu’on peut dater sa naissance du moment où Yoshihara «voit des similitudes entre des œuvres on ne peut plus japonaises et les avant-gardes de l’époque». Gutai a bénéficié du soutien appuyé du critique Michel Tapié en France ; aux Etats-Unis, Allan Kaprow a contribué à faire connaître la diversité de leurs créations (par son ouvrage de 1966, Assemblage, Environments and Happenings). Murayama, quoique cité sous la rubrique Merz du dictionnaire d’Arp et de Lissitzky de 1924 (Kunstismen), aura été plus isolé. En 1960, Dada fait de nouveaux petits, les Néo-Dadaism Organizers. Yoshimura Masanobu et Shinohara Ushio sont les instigateurs de ce groupe qui se dissoudra au bout de 9 mois. L’appellation qu’ils retiennent est un hommage aux Néo-Dadas new-yorkais et aux Dadas de la première heure. Elle n’a pas, au Japon, la connotation péjorative que lui a donnée le magazine américain Artnews (1958). Les Néo-Dadas prolongent la réflexion Dada sans en reprendre les méthodes. Ils évoluent au Japon dans le contexte politisé du renouvellement du Traité de sécurité. En 1962, Georges Maciunas, qui a fondé peu avant le groupe Fluxus, théorise le concept Néo-Dada et déclare : «Si l’homme pouvait, de la même façon qu’il ressent l’art, faire l’expérience du monde, du monde concret qui l’entoure (depuis les concepts mathématiques jusqu’à la matière physique), il n’y aurait nul besoin d’art». Il s’agissait de dépasser l’art dont les limites conceptuelles étaient atteintes. Marc Dachy recrée l’authenticité et l’effervescence des avant-gardes, les interactions qui s’opèrent entre individus, entre capitales. Il commence et achève son ouvrage par des impressions personnelles, par le récit de rencontres. C’est bien de rencontres qu’un mouvement artistique est fait, et ce sont bien des rencontres que Marc Dachy nous propose au fil des artistes qu’il nous présente. Guibourd Delamotte |
Dada au Japon |
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